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Georges dans son projet de budget, que M. Caillaux qualifie de « très remarquable et très audacieux, » — et le second adjectif est encore plus vrai que le premier, — introduit des réformes destinées à porter ce rendement à 670 millions. Qu’est-ce, à côté de cela, que notre impôt successoral qui rapporte « à peine, » dit M. Caillaux, 250 millions par an ? M. le ministre des Finances veut bien reconnaître que l’annuité successorale chez nos voisins est supérieure à la nôtre ; elle est de 6 971 000 000, tandis que la nôtre ne dépasse pas 5 300 000 000, et cela fait une différence. Néanmoins, si on en vient au pourcentage, on constate que les Anglais prélèvent actuellement au profit de l’État 6,7 pour 100 du montant total des héritages, et qu’ils percevront peut-être demain 9,3 pour 100, tandis que la proportion correspondante est seulement chez nous de 4,57. M. Caillaux a tout l’air d’en être humilié. Mais il y a un élément dont il ne tient pas compte, et qui a cependant son importance : en Angleterre, l’enregistrement n’existe pas, tandis qu’il prélève en France des sommes considérables sur le capital privé au profit de l’État. L’enregistrement est un impôt sur le capital, au même titre que l’impôt successoral. Quand on oppose les unes aux autres les charges qui, des deux côtés de la Manche, portent sur la même matière, il faut les prendre de part et d’autre dans leur ensemble. Si M. le ministre des Finances veut bien totaliser les charges qui pèsent en France sur le capital et les comparer à celles qui pèsent sur lui en Angleterre, il verra ce qui reste de ses calculs de proportion.

A quoi bon en dire davantage ? Ce qui précède suffit pour expliquer l’émotion qu’a fait naître le projet de budget de M. Caillaux : elle ne paraît pas près de s’apaiser. Des critiques précises ont été faites, des paroles éloquentes ont été prononcées dans les bureaux des deux assemblées. Au Sénat, par exemple, M. Ribot et M. Rouvier, anciens présidens du Conseil et ministres des Finances l’un et l’autre, ont montré avec force les vices rédhibitoires du projet de budget ; mais c’est le discours de M. Poincaré qui a fait le plus d’effet, parce qu’il a été appuyé par un acte. Depuis plusieurs années, M. Poincaré était rapporteur général du budget, et il s’était acquitté de sa lourde tâche avec une compétence technique et un éclat de talent qui étaient pour le Sénat un honneur et une sécurité. On s’attendait à ce que, mieux préparé que personne à rapporter le nouveau budget, il consentirait à le faire ; mais il s’y est refusé et, malgré l’insistance de ses collègues, rien n’a pu le faire revenir sur sa détermination. On n’en sera pas surpris, si on songe que plusieurs fois dans ces derniers