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ensuite la loi parce qu’il est impressionné par la majorité de la Chambre ; et c’est ainsi que, de faiblesse en faiblesse, de capitulation en capitulation, on en vient au point où nous sommes. En vain des orateurs courageux, M. Denoix, M. Milliard, ont adjuré le Sénat de ne pas entrer dans une voie funeste ; on ne les pas écoutés. D’ailleurs, le gouvernement, par l’organe très brillant de M. Barthou, a fait remarquer qu’il était trop tard, que le Sénat avait déjà voté le principe de la loi, et que sa dignité ne lui permettait pas de se déjuger. Ah ! la dignité du Sénat : on la met à d’étranges épreuves.

Le débat a duré plusieurs séances, et à chacune est apparu un nouveau danger. Une question se posait dans tous les esprits, celle de savoir si les employés des chemins de fer avaient le droit de se mettre en grève : elle a été discutée à propos d’un amendement de M. Touron qui permettait aux compagnies de ne pas payer à l’ouvrier gréviste la part de sa retraite correspondant, non pas aux versemens personnels de l’ouvrier, mais à ceux de la compagnie elle-même. Il pouvait y avoir dans cette disposition un avertissement utile et un frein pour l’ouvrier, sans qu’aucun principe y fût violé. Les tribunaux, en effet, ont toujours décidé que la grève n’était pas seulement une suspension, mais une rupture de contrat de travail dont le salaire et la retraite sont des conséquences. Cette jurisprudence tutélaire, croirait-on que M. le ministre des Travaux publics ne l’admet pas ! A ses yeux, le contrat de travail n’est pas rompu, mais seulement suspendu par la grève qui est en soi un fait légitime et licite, aussi bien pour les ouvriers des chemins de fer que pour ceux de l’industrie privée. Paroles regrettables, qui peuvent avoir dans un avenir prochain les pires suites. Si l’industrie des voies ferrées est une industrie privée, il s’en faut de beaucoup qu’elle soit, de la part des compagnies qui l’exercent, aussi libre et aussi indépendante que les autres : et nous ne nous en plaignons pas, parce que le gouvernement ne saurait se désintéresser d’une industrie qui met en jeu la sécurité publique. Mais s’il ne peut s’en désintéresser à l’égard des compagnies, il ne le peut pas non plus à l’égard de leurs agens et ouvriers. Reconnaître formellement à ceux-ci les mêmes droits qu’aux ouvriers ordinaires est presque les encourager à en user, de quelques réticences et réserves qu’on entoure ensuite une déclaration aussi inconsidérée. M. le ministre des Travaux publics était-il obligé de la faire ? La discussion de l’amendement de M. Touron lui en faisait-elle une nécessité ? Pas le moins du monde. Aussi ne s’expliquerait-on pas les imprudences de parole de M. Barthou, s’il n’avait pas dit que son attitude à l’égard des employés des chemins de fer lui