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avait valu leur confiance. Il s’entend fort bien avec eux, soit ; mais les moyens grâce auxquels il a établi son autorité sur eux rendront sans doute bien difficile la tâche de son successeur. Laissons de côté les subtilités juridiques de la discussion, et demandons-nous si la grève des cheminots n’est pas aussi redoutable que celle des postiers. A notre avis, elle l’est davantage, et il y a lieu d’être étonné de la légèreté avec laquelle le gouvernement en prend éventuellement son parti. M. Touron lui a dit avec une grande force de logique : — Vous faites une loi spéciale pour les cheminots sous prétexte qu’ils ne sont pas des ouvriers comme les autres, c’est votre thèse d’hier ; et votre thèse d’aujourd’hui est qu’on ne peut ni leur enlever le droit de grève, ni en gêner chez eux l’exercice parce qu’ils sont des ouvriers comme les autres. Mettez-vous d’accord avec vous-même. — C’était demander au gouvernement de sortir de l’incohérence où il se complaît : il n’en a rien fait. Mais on voit à quels inconvéniens aboutit cette absence de principes et cette inconstance de volonté. Puisse-t-il ne jamais y avoir de grève des cheminots ! Car, s’il y en avait une, le gouvernement serait désarmé par ses déclarations.

Le Sénat le sentait : son malaise était visible pendant le discours de M. le ministre des Travaux publics, et M. Touron ayant modifié la forme de son amendement, bien qu’il en ait conservé le fond, tout le monde a été d’accord pour en demander le renvoi à la Commission. Mais, le lendemain, le gouvernement avait pris son parti de persévérer dans sa première attitude. Il s’est trouvé alors en présence de M. Ribot qui, bien qu’il fût déjà intervenu à la tribune du Sénat, y a fait ce jour-là son début véritable avec un éclat et une force dont l’assemblée a été profondément remuée. M. le ministre des Travaux publics d’abord, M. le président du Conseil ensuite, l’ont accusé d’avoir été trop vif, et d’avoir porté la question sur le terrain politique. M. Ribot avait parlé en effet avec véhémence, en bon citoyen que les imprudences du gouvernement préoccupent, que ses défaillances alarment, et qui se désole de voir l’une après l’autre toutes nos institutions, même celles qui intéressent le plus la vie nationale, livrées à l’anarchie et au chaos. M. Ribot a fait entendre un avertissement sévère. Il était naturel que le gouvernement s’en émût, mais il a été évident que la grande majorité du Sénat en sentait la justesse et l’opportunité. M. Barthou. qui voit tout en beau, a reproché à M. Ribot d’avoir fait un discours « pessimiste, » en quoi il ne se trompait pas : le discours était pessimiste, en effet. M. le président du Conseil, voyant le Sénat ébranlé, est intervenu à son tour et a posé la question