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indigènes qui occupent les 3/7 de la superficie totale, habilement enchevêtrés dans l’Inde anglaise comme les pièces d’un ouvrage de marqueterie, constitue, au profit des suzerains, une assurance contre une révolte généralisée. C’est la digue qui détourne un torrent, ou le brise-lames qui sépare le large où gronde la tempête du port calme comme un miroir.

Actuellement, souffle sur le pays un vent de révolte, aux rafales lourdes comme un ouragan des tropiques. Les ondes que soulève cette agitation se propagent à la fois par les journaux, très répandus, par le pamphlet qui s’insinue partout, par les sociétés secrètes multipliées à l’infini, par les meetings et les congrès qui agitent de vagues remous les masses populaires illettrées.

Le vice-roi combat la propagande révolutionnaire, sous ses formes diverses. D’abord, les journaux, avec leurs appels directs à la rébellion, sont l’objet de poursuites rigoureuses. On suspend de nombreuses feuilles indigènes, pour théories séditieuses et propagande anti-anglaise ; par exemple, la Sandhia, dont le directeur refusa nettement de prendre part aux débats du procès : « Je n’ai point décompte à rendre, déclara-t-il, au sujet d’une mission divine pour le relèvement de l’Inde, à des étrangers dont la domination entrave le développement normal du pays. »

Quelques jours après, le tribunal infligeait cinq ans d’exil au propriétaire du journal indigène India, de Madras.

Ceci se passait à la fin de 1907. Mais, les délits de presse et d’opinion n’étaient point chose nouvelle. Auparavant, Tilak, anarchiste militant, audacieux combatif, publiait une feuille indoue, le Kesari, et une autre en anglais, le Mahratte. A la fois brahmane et érudit en choses de l’Occident, persuadé que, seule l’indépendance complète satisfera les aspirations de ses compatriotes, cet homme rêve d’une confédération autonome. Les moyens d’arriver au but ? Le boycottage des marchandises britanniques et la résistance passive. Ce programme, répandu à des milliers d’exemplaires, lui valut dix-huit mois de prison.

Vers le même temps, un journal de Calcutta, le Bande Mataram[1], écrivait en termes modérés, mais péremptoires : « Le moment est venu de dire nettement aux Anglais, nos amis, que, malgré toute notre reconnaissance pour eux, nous souhaitons

  1. « Salut à la Patrie ! »