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son maximum au Bengale (1905), à la suite du morcellement en deux fractions de ce très important district, où vivaient 75 millions d’habitans. Ce remaniement territorial, destiné à faciliter l’administration, amena dans l’une des divisions la supériorité numérique des musulmans sur les Indous. Résultat : meetings monstres, protestations, désordres graves à dominante antianglaise.

Banerjee, fauteur des troubles, couronné roi du Bengale en septembre 1906, enracina, par ses imprécations, au cœur du peuple, une aversion profonde pour les étrangers. Cet agitateur, qui connaît les replis intimes de l’âme indigène, frappa le but, en touchant la corde religieuse :

« La graisse, le sang, les os des vaches, des porcs et autres animaux, sont employés dans les usines étrangères. On raffine le sucre avec du sang de porc (pour en dégoûter les musulmans) et du sang de vache (pour les Indous). Indous et musulmans, abstenez-vous, par sentiment religieux, de toucher aux produits de ces usines. » C’était l’exhortation non déguisée au boycottage.

À la fin de la cérémonie, on distribua aux assistans la poussière des sandales de Banerjee, au cri mille fois répété de : « Vive notre pays natal ! »

Sans prendre au tragique le fond ni la forme burlesque de cet incident, les détails dénotent, parmi les Bengalais, un état d’âme très particulier.

Les troubles augmentèrent quand le tribunal condamna Bepin Chandra Pal, journaliste d’avant-garde (septembre 1907). Sir Fuller, lieutenant gouverneur, tenta d’étouffer ces manifestations par la « manière forte. » Vainement il proscrivait l’hymne bengali : « Avec 140 millions de mains pour tenir l’épée, le Bengale est-il impuissant ? » Le gouvernement l’appela « à d’autres fonctions, » et le mouvement révolutionnaire poursuivit son cours avec âpreté. Au milieu de cette agitation politique, seuls, les musulmans sont restés inébranlables. Ces 80 millions d’hommes, pépinière d’excellens soldats, considèrent Edouard VII comme leur propre souverain. Le gouvernement met à profit ces bonnes dispositions. Par un procédé vieux comme le monde, il s’efforce de diviser pour régner, en opposant les Indous désunis par les castes au bloc compact des musulmans. De leur côté, les Indous font des avances aux sectateurs de Mahomet. Pour