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compris que ces éloges enthousiastes s’adressaient moins à sa personne qu’à l’idée que George Sand incarnait en lui, à cet homme de douleur qu’était le peuple pris en soi, à cette sorte de Christ collectif qu’il sentait en lui-même, ce qui l’avait fait s’écrier, dans un très beau vers :


Pourquoi me brûles-tu… ma couronne d’épines ?


Et dès lors le dialogue s’engagea entre l’écrivain de génie et l’ouvrier maçon.

Mais un beau vers ne fait pas un beau volume, pas plus qu’une hirondelle ne fait le printemps. Y avait-il dans les Marines de quoi autoriser de grandes espérances, sinon justifier le dithyrambe dont les avait saluées George Sand ? Oublions les éloges dont il fut alors écrasé ; et reconnaissons un certain souffle chez ce jeune homme qui, n’ayant pas vingt et un ans, écrivait des strophes comme celles-ci au retour du chantier : A un vaisseau de cent-vingt en démolition :


Colosse, à ton aspect j’ai vu pleurer mon père.
Dans ton sein s’écoula sa jeunesse prospère,
Féconde en beaux élans ;
Il aime à me conter que souvent, pauvre mousse,
Sur un fragile pont il a gratté la mousse
Attachée à tes flancs.

Bientôt de ce vaisseau, qui fouilla les entrailles
Des plus lointaines mers, du géant des batailles
Il ne restera rien,
Rien qu’un nom admiré dans nos gloires navales,
Un nom qu’à l’avenir légueront nos annales,
Et ce nom, c’est le tien !


Tout n’était donc pas illusion dans la louange excessive adressée au débutant par George Sand. D’ailleurs, le premier hommage, c’est elle qui l’avait reçu. Une pièce lui était dédiée dans les Marines, où Poncy l’appelait « sa sainte patronne, » et « la mère de son cœur. » Comment ne lui eût-elle pas répondu : « Mon enfant ! »

Si le poète était déjà intéressant, l’homme l’était encore davantage. Le secret instinct de George Sand, en ceci, ne l’avait pas trompée. Fils d’un maçon entrepreneur, enfant du chantier, Poncy, à neuf ans, était manœuvre et servait les ouvriers. Vers la première communion, il avait suivi quelque temps l’école