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actes législatifs, le mensonge, l’égoïsme et l’impudence ! Le monde livré aux pédans, aux viveurs et aux sabreurs !…

«… Vous aurez lu sans doute l’article que Pierre Leroux a fait sur vous dans le numéro de ce mois. Il n’est pas assez louangeur, à votre gré, m’a-t-il dit. Mais la louange gâte les hommes, et la plus tendre, la plus ardente des louanges, la plus méritée des couronnes pour les nobles cœurs et les vraies intelligences, c’est un bon conseil. Il a raison après tout, et vous le sentez déjà, sans que je vous le dise.

« Continuez, mon noble enfant, et restez peuple. J’entends cela comme mon ami et mon maître Pierre Leroux : peu importe que vous gardiez la truelle et la pipe. Si elles vous inspirent toujours, gardez-les toujours. Si un autre milieu, si d’autres occupations deviennent nécessaires à votre développement, ne vous laissez pas effrayer par ceux qui vous diront que votre devoir est la souffrance et la fatigue du corps. Votre seul, votre véritable devoir est de rester prolétaire dans votre cœur, dans votre inspiration et dans vos entrailles, que vous soyez maçon ou toute autre chose dans la société des hommes…

« Travaillez, faites encore mieux que le dernier volume. Il le faut. Je serai très sévère avec vous, parce qu’un début comme le vôtre impose l’obligation d’un grand progrès. Si vous voulez m’envoyer quelques pièces, je les analyserai attentivement, et vous écrirai tout ce que j’en pense, avec la plus grande sincérité et la plus grande sollicitude.

« A vous de cœur, mon cher Poncy. A Dieu ! » (14 mai 1842.)

Sincérité, sollicitude, c’est bien le caractère que revêtent les lettres suivantes de George Sand. Il y avait à défendre Poncy de tant de défauts ! Maintenant qu’elle l’examinait avec les yeux clairvoyans de l’amie, George Sand s’attachait à séparer l’ivraie du bon grain. Tâche difficile, où elle apporta toujours une main ferme et délicate. Il y aurait un très intéressant chapitre à écrire sur George Sand conseiller littéraire. Elle voit à merveille chez les autres le bien et le moins bien, et, à côté du mal, elle indique le remède avec une infaillible justesse. Solange fit l’épreuve de cette magistrale perspicacité, qui embrassait à la fois le dehors et le dedans, l’envers et l’endroit. Poncy la ressentit également pour son bien, mais son instruction et son goût y profitèrent plus que son talent. Il n’était pas susceptible, en effet, d’un développement indéfini ; il touchera bientôt ses limites. George