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attendant de devenir financières. Nous en avons touché un mot ailleurs[1]. Ce furent deux années très cruelles, dont George Sand garda longtemps la brûlure au cœur. Au printemps de 1846, Chopin était malade, et une amie fidèle, Mme Marliani, en danger de mort. George Sand, alors à Paris, se multipliait. « Chopin a été malade, peu dangereusement, Dieu merci, mais ayant toujours besoin de beaucoup de soins. Et pendant ce temps, une excellente amie à moi était à l’agonie. Nous avions perdu tout espoir, j’étais navrée ; j’y passais les nuits ; le jour, j’allais d’un malade à l’autre. Enfin, mon amie est sauvée, et Chopin est guéri. J’ai été malade moi-même à la suite de tout cela. » (22 avril 1846.)

Puis ce sont d’autres alertes : Solange tombe dans un état de langueur inquiétant. Sa mère la soigne, la guérit. Là-dessus elle se fiance avec Fernand de Preaulx, pour rompre presque aussitôt ce mariage. Elle s’est éprise sur ces entrefaites de Clésinger, et force la main à sa mère que ce projet alarmait à juste titre. George Sand est si troublée (son écriture agitée en témoigne) qu’elle tutoie subitement Poncy :

«… J’ai du chagrin moi-même, beaucoup de chagrin, Solange n’a plus voulu épouser l’homme qui l’aimait. Elle a été inconséquente, et un peu dure. J’ai respecté son indépendance comme une chose sacrée, mais je n’aurais pas agi comme elle ; j’ai souffert, je souffre encore. Je crains que l’orgueil ne joue un plus grand rôle dans sa vie que la tendresse et le dévouement. Quelle qu’elle soit, sa force et sa volonté sont œuvres de Dieu, et je ne chercherai jamais à les briser. Je te conterai tout cela, ce serait trop long dans une lettre… Je m’aperçois en finissant ma lettre que je vous ai tutoyé contre mon habitude. Cela m’est venu naturellement, comme si j’écrivais 5 mon fils. Et je ne t’en demande pas pardon. » (5 avril 1847.)

Ce tutoiement devait d’ailleurs disparaître quelques mois après, comme il était venu. Ce qui ne disparaissait pas, c’était le chagrin. Il avait fallu rompre avec Chopin, devenu désormais un obstacle à la paix domestique. Et un second mariage, dans l’entourage immédiat de George Sand, avait été brusquement et cruellement rompu. La filleule de George Sand, Augustine Brault, qui avait dû épouser le grand artiste Théodore Rousseau,

  1. George Sand et sa fille, chap. II.