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« — Legrain, lui murmure à l’oreille son maître, ne prononce pas le mot de Mirabeau, que je ne te le dise.

« — Cela suffit, monsieur.

On se dirige vers Pontarlier. Deux pieds de neige. Les arbres découpent leurs branches noires sur le ciel gris : de rares vols de corbeaux ; puis rien. Enfin un homme sur la route ; il approche, croise la voiture :

« — Qu’on arrête, voilà Bourrier ! s’écrie Mirabeau. — Ma foi, monsieur, on voit bien que la neige vous éblouit, car c’est un perruquier.

« — Précisément, appelle donc !

Le témoignage de ce Bourrier, logeur, et traiteur du comte à Pontarlier, lui avait fait trancher la tête, — en effigie. Mirabeau le secoue, l’embrasse.

— Voilà une belle ambassade ! pensait Legrain.

A Pontarlier, l’avocat descend. On arrive aux Verrières-Suisse.

« — Pardon, monsieur le comte, si je vous interromps, fait Legrain.

« — Parle.

« — Monsieur, quand je suis parti de Bignon, l’oncle de votre avocat m’a dit que vous étiez nommé ambassadeur et que j’allais faire mon chemin avec vous. Il paraît que ce soit possible en fait de chemin, mais pas en fortune… Quoi qu’il en soit, soyez sûr de moi. Ayez tort ou raison, je ne vous quitte pas que vous ne soyez débarrassé…

« — Je puis donc compter sur toi ?

« — Oui, monsieur le comte, en service et en probité. D’ailleurs, monsieur votre père m’a dit qu’il se reposait sur moi. Je lui ai donné ma parole.

Et voilà Legrain qui part en qualité de négociateur, tantôt à Pontarlier, tantôt à Neuchâtel, visitant le chancelier, visitant les juges. Il s’agissait d’obtenir du Conseil de Neuchâtel d’interdire aux témoins suisses de venir déposer en France. C’est Legrain qui mène l’affaire. Il ne débride pas, brûlant les étapes, par des chemins où le cheval enfonce dans la neige jusqu’aux jarrets.

— Te voilà déjà revenu, lui dit Mirabeau.

— Je n’ai pu revenir plus tôt.

— Je le crois bien, comme te voilà fait !