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de lui, et, pendant que le clergé et les confréries déroulaient leur procession, tous deux entrèrent dans le monastère. Après les saluts d’usage et les bénédictions dont le Pape l’avait chargé pour le Magnifique, les Médicis et la ville elle-même, le cardinal ne put s’empêcher de témoigner la stupéfaction que lui causait le revirement de Piero.

Le Médicis tenta d’excuser son cousin : le péril qu’il courait était en ce moment si grand ! A Florence, non seulement ses richesses, mais sa vie, menacées à chaque instant ! partout des traîtres, même dans la famille ! Jean et Lorenzino n’avaient-ils pas déjà été solliciter contre leur cousin la protection du Très-Chrétien ? Piero n’avait plus, sur la ville, l’ombre d’autorité, et chaque jour, frère Gérôme travaillait à le rendre odieux. Le vrai maître de Florence, à l’heure actuelle, c’est ce moine fanatique. Depuis qu’il a « fermé la porte de l’arche de Noé, » tous sont ici frappés de terreur ou de folie, par crainte de n’y pas avoir trouvé place. Quand il prêche à Sainte-Marie de la Fleur, la cathédrale est trop petite, et le jour où il a crié, en chaire, qu’il allait bientôt déchaîner le déluge du ciel, tous les Florentins se sont mis à trembler comme des enfans. Ce frère a un pouvoir diabolique… il prêche contre l’Église elle-même ; peut-être est-ce l’Antéchrist ?

Quant à Piero, aussi longtemps qu’il a pu compter sur le secours du duc de Calabre, il n’a pas perdu courage, et même, il n’a pas craint d’écrire une lettre très fière au Roi de France. Mais, que peut maintenant l’armée du duc, acculée à Faenza par les Français ? et le pays lui-même se prononce en leur faveur. Dans de telles conditions, menacé à l’intérieur, sans espoir de secours extérieur, que pouvait faire le Magnifique ? Dans le parti qu’il vient de prendre est peut-être le salut de Florence, en tout cas le dernier espoir de la sauver du massacre et du pillage ! car ce serait folie que de tenter de résister à une armée tellement supérieure, à une aussi formidable artillerie ! La preuve est faite !…


Telles furent, vraisemblablement, les raisons que donna le Médicis à l’excuse de Piero ; raisons justes et qui se plaidaient d’elles-mêmes ; et aujourd’hui, en considérant les choses avec