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Roi de France, le Pape ne manquait pas non plus de forces à lui opposée, sans compter l’aide de Dieu, qui ne lui ferait point défaut.

Ces belles raisons n’arrivaient point à convaincre la Seigneurie ; plusieurs de ces avisés Florentins avaient dans l’idée que, si le Pape continuait à tenir pour le roi de Naples, c’était pour garder par ses fils un pied en Espagne et l’autre dans le royaume[1], et quant à la bonne foi du Saint-Père, la plupart se demandaient s’il ne finirait pas par s’entendre avec le Roi de France, et si ce n’était pas la combinaison qu’il tramait en ce moment même avec Mgr Ascanio Sforza, venu brusquement à Rome.

Quant à l’intérêt de la ville de Florence, qui avait de nombreuses banques et maisons de commerce en France, il était évidemment de se montrer agréable au Roi Très-Chrétien, et là-dessus, tous étaient d’accord.

Mais ces raisons vraies, les Prieurs se gardèrent certainement de les exposer ; ils se contentèrent de déplorer avec le cardinal la trahison de Piero, qui, mettant ses intérêts propres avant ceux de la ville, les livrait au Roi. Et ils purent lire au Légat la lettre qu’ils venaient de recevoir, et dans laquelle le « Magnifique » prétextait qu’il agissait pour le salut de Florence : « J’espère, — écrivait-il, — en livrant ma personne à Sa Majesté Très-Chrétienne, apaiser la colère qu’Elle a contre notre cité. » — Mais tous prétendaient que Piero mentait en disant cela.

Ils étaient eux-mêmes dans la plus grande incertitude de la conduite qu’ils allaient tenir, se rendant bien compte que Florence ne pouvait résister aux Français, maintenant qu’ils étaient sur le territoire, car Montpensier, guidé par les bandes de Malaspina, avait déjà enlevé le château de Fivizzano, passé au fil de l’épée ses garnisaires et massacré les 300 hommes envoyés pour défendre Sarzane. C’était bien une guerre « inouïe[2] ! » jamais on n’avait entendu, en Italie, parler de semblables tueries.

Le cardinal comprit que, de ce côté, la partie était perdue et qu’en cette ville, tous, du plus grand au plus petit, bien que pour des motifs différens, en tenaient pour les Français[3].

  1. Un fils du Pape, Gioffré, avait épousé récemment Dona Sancia, fille d’Alphonse d’Aragon ; un autre, César, était cardinal de Valence en Espagne.
  2. Guichardin.
  3. … « A minimo usque ad maximum Gallos in ore habent. » (Lettre du cardinal.)