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cours prononcé par M. Briand, en réponse aux questions que lui ont posées MM. Lafferre et Lauraine. Amis réservés sans doute, mais adversaires plus réservés encore, les deux interpellateurs ne lui ont tendu qu’un fleuret moucheté. Les ardeurs radicales s’étaient quelque peu épuisées dans les conciliabules qui avaient accompagné la formation du ministère et précédé la séance. En présence du fait accompli, qui coupe court à tant de velléités préalables, les mécontens de la veille se sont transformés en questionneurs presque bienveillans.

M. Briand s’est appliqué à rassurer tout le monde. C’est un orateur parlementaire, dans toute l’acception du mot. Il change de M. Clemenceau dont le verbe tranchant, insolent, offensant, opérait sur l’Assemblée comme des coups de lanières. La parole de M. Briand est, tout au contraire, caressante et veloutée ; elle est pleine de ménagemens pour les personnes aussi bien que pour les idées, et on est tenté de s’écrier en l’écoutant :

Ah ! qu’en termes galans ces choses-là sont dites !

La Chambre a témoigné qu’elle aimait mieux cette manière qui, en effet, est reposante, mais elle est en revanche un peu fluide, un peu fuyante, et si elle n’a pas les arêtes pointues de celle de M. Clemenceau, elle n’en a pas non plus la netteté, et la précision. Nul n’égale M. Briand dans l’art d’éluder les difficultés, et de passer entre les écueils comme le plus adroit des nageurs ; mais peut-être est-il plus facile, quand on a sa souplesse oratoire, de se livrer à cet exercice en parole qu’en action, et c’est aux actes qu’on le jugera définitivement. Il a remercié ses interlocuteurs de ne l’avoir pas trop taquiné sur son passé, auquel il a fait lui-même une allusion discrète ; mais il a ajouté tout de suite qu’il n’avait désormais d’autre ambition que de se rendre apte à ses fonctions nouvelles et qu’il sentait naître en lui un homme nouveau. N’est-ce pas ce que les théologiens appellent « dépouiller le vieil homme, » et ce que M. Clemenceau exprimait plus drôlement en disant qu’il passait de l’autre côté de la barricade ? Ses opinions d’autrefois, M. Briand n’n a renié aucune ; il a même avoué qu’il avait une audace de pensée qui ne reculait devant rien ; mais il a aussitôt tranquillisé son auditoire, en expliquant que, comme homme de gouvernement, il ne voulait que des choses immédiatement réalisables ; « je suis, a-t-il dit, un homme de réalisation ; » et c’est bien là, ce nous semble, cette politique opportuniste qui a été autrefois pratiquée par Gambetta et par tous ceux qui se sont inspirés de sa méthode. Dans plusieurs passages de son discours, M. Briand a revendiqué, à