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de ce genre. Cela vaut mieux que de leur seriner nos immortels principes et de les bourrer de notions abstraites qui ne leur serviront à rien.

À cet égard, j’ai beaucoup admiré, — à Jérusalem encore, — l’école professionnelle des Sœurs de Saint-Vincent de Paul. Leur établissement est, sans comparaison, le plus considérable de toute la ville, — et c’est même une petite ville dans la grande. La masse et l’étendue des bâtisses, qui se développent en bordure le long de la route de Jaffa, vous saisissent l’œil dès l’arrivée. Ces constructions immenses sont de date relativement récente. Elles sont, pour ainsi dire, sorties de terre par la volonté d’une religieuse, la sœur Sion, une vaillante fille de nos faubourgs parisiens. Un tel résultat, — et si rapide, — tient presque du prodige : il est héroïque, si l’on songe à toutes les difficultés d’une aussi énorme entreprise. Réunir les fonds n’était rien (Dieu sait pourtant ce qu’une telle installation a coûté ! ) le plus malaisé fut d’obtenir du gouvernement turc l’indispensable autorisation de bâtir. Sœur Sion se révéla, en cette occurrence, un véritable diplomate, elle sut profiter très intelligemment de la faveur dont jouissait son Ordre auprès d’Abdul-Hamid. À Jérusalem, on vous racontera là-dessus maintes anecdotes qui prouvent que sœur Sion avait autant d’esprit que de bonté et d’audace.

La propre sœur de la fondatrice défunte, qui lui a succédé dans les fonctions de supérieure, eut la complaisance de me guider à travers le vaste labyrinthe de la maison. Le premier être humain que nous croisâmes fut un pauvre fou inoffensif, qui vaguait par les corridors, en bredouillant des paroles sans suite et en se livrant à toute une gesticulation effarante. Il nous poursuivit avec obstination :

— Un de nos pensionnaires ! me dit la supérieure. Notre maison est le rendez-vous de toutes les misères, même des pires, de celles qui rebutent la charité ! Outre un hospice pour les vieillards aveugles, nous avons aussi un refuge pour les incurables de tout âge et de tout sexe, hommes, femmes et enfans ! Vous ne pouvez pas vous imaginer les infirmités, les monstruosités que nous abritons ici…

Elle n’ajouta point un détail plus touchant et plus beau, que je savais déjà : c’est qu’à tour de rôle, ses compagnes se dévouent pour aller soigner, dans leurs repaires, les lépreux de