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savons déjà : « abus de la mémoire, verbalisme, altération systématique de la vérité, et, pour tout dire, méthodes défectueuses et surannées ! » Pour ce qui est de l’utilisation de la mémoire par les pédagogues orientaux, nous nous sommes déjà expliqué à ce sujet. Nos universitaires ne se décident pas à comprendre qu’une pédagogie, sans doute excellente à Paris, a des chances pour être mauvaise à Constantinople ou à Damas. Ici et là, on ne peut pas apprendre le français de la même façon. Le pur psittacisme est encore le meilleur moyen de l’enseigner à de jeunes Arabes qui en ignorent le premier mot. Et, lorsque, dans l’Université elle-même, on en vient au système Berlitz pour l’enseignement des langues, il est bien étrange, en vérité, d’entendre ses représentans critiquer ce même système, dès qu’il est employé par des congréganistes.

Mais ces critiques sont spécieuses : elles cachent une accusation plus grave dans l’esprit de ceux qui les font. Par la mnémotechnie, disent-ils, on tue le raisonnement. Le grand crime des Jésuites et des Frères de la Doctrine chrétienne, c’est de détourner leurs élèves de raisonner, c’est de ne point développer en eux l’habitude du libre examen !… La bonne plaisanterie ! D’abord, il conviendrait de savoir si ce n’est pas la plus pernicieuse des duperies que de persuader à des enfans ou à des hommes mûrs qu’ils sont aptes à raisonner par eux-mêmes ; ensuite, je me demande si c’est bien le sens critique qu’il convient de stimuler, chez des écoliers, plutôt que la volonté, le sens et le goût de l’action ! Mais il est trop facile de renvoyer des à des les accusateurs et leurs victimes. Si, chez les premiers, il est permis de penser librement, c’est à condition que l’on pense d’une certaine manière, — bien entendu ! — sinon la permission vous est retirée. Ils vous autorisent sans doute à professer que la Révolution française fut un bienfait pour le genre humain, mais ils se fâchent si l’on est d’avis qu’elle fut une calamité pour la France… Sujet brûlant ! dira-t-on. Soit ! Voici un exemple purement littéraire. Il y a quelque douze ans, j’eus la naïveté de soutenir, devant un jury de Sorbonne, que le classicisme archéologique de David conduisait tout droit au romantisme historique. Je croyais que toutes les opinions sont libres. On me le fit bien voir. Feu Larroumet me signifia qu’une idée aussi contraire aux saines doctrines ne méritait même pas la discussion. Ma proposition fut condamnée sans examen, attendu que lui, Larroumet,