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commentaire impersonnel et stérilisant, voilà la plaie de l’enseignement universitaire. On disait autrefois que l’antiquité était le pain des professeurs. Aujourd’hui, il convient de changer la formule : ce n’est plus précisément l’antiquité, c’est le manuel qui est le pain des professeurs, — et qui est quelquefois la dot de leurs filles. La leçon parlée n’est pas plus vivante. D’abord, il y en a trop ! Qu’on parcoure seulement les affiches de l’actuelle Sorbonne, on sera épouvanté par le débordement des matières. Ce n’est plus un laboratoire, c’est une Babel, voire une pétaudière de science. Comme au beau temps de la scolastique, chaque science se divise en sous-sciences et en quarts de sciences, en spécialités abstruses, où des malheureux sont emmurés pour la vie. Les chaires pullulent comme des champignons. Un étudiant qui voudrait suivre non pas tous ces cours, mais seulement deux ou trois, en serait écrasé. N’ai-je pas vu annoncées des conférences de germanistique, qui doivent durer un an et qui n’en sont encore qu’à l’introduction ? Outre que je me perds en conjectures sur ce que peut bien être la germanistique, je frémis à l’idée de son ampleur et de sa masse, puisque deux semestres suffisent tout juste pour en épuiser les prolégomènes.

Ensuite, ces cours sont quelque chose d’accablant pour l’âme et pour l’intelligence. Qui donc a parlé de ces tristes esprits en qui l’univers vient s’éteindre ? J’ai eu la sensation très nette de cette catastrophe dans la salle d’une de nos Facultés. On y discourait du Miles gloriosus, du soldat mercenaire au siècle d’Alexandre : admirable figure, prodigieuse de relief et de couleur ! Comme j’aurais aimé qu’on le fît marcher devant moi, ce soldat fanfaron ! Au lieu de cela, analyse de tous les textes relatifs au personnage, puis timide déduction des « qualités morales » y afférentes : d’après les textes et rien que d’après les textes, voilà ce que fut le Miles gloriosus, — ni plus, ni moins ! C’est ce qui s’appelle proprement changer les écus en feuilles sèches.

Le triomphe du genre, c’est l’érudition à côté, l’érudition à l’allemande. Cela consiste à supprimer un sujet ou un écrivain par l’accumulation des notules : petits faits, discussions de dates ou d’authenticité, catalogues bibliographiques ! Des terrassiers sont tout désignés pour cette besogne. On arrive ainsi à dresser d’énormes machines qui semblent receler des mondes dans leurs flancs et qui n’abritent même pas une pauvre petite idée générale. Ces gros livres universitaires, avec tout leur arsenal de