Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/809

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choses frivoles et de fantaisie. Il y a un sentiment de liberté à suivre ses caprices et tout au contraire de servitude à courir pour son établissement : il est naturel de le souhaiter beaucoup et d’y travailler peu, de se croire digne de le trouver sans l’avoir cherché. » — Il est presque tout entier dans ces lignes, avec son ambition un peu sourde et secrète, son goût pour la vie de libre curiosité qui le détourne de son ambition et son orgueil qui lui persuade qu’un homme comme lui devrait rencontrer un poste élevé sans courir après.

Il dit encore, cette fois plus mélancoliquement (et avec quelle vérité du reste ! ) : « Les choses les plus souhaitées n’arrivent point ; ou, si elles arrivent, ce n’est ni dans le temps, ni dans les circonstances où elles auraient fait un extrême plaisir. » — Certainement, il a rêvé autre chose que l’Académie française, à quoi du reste il a tenu fort, et ce quelque chose l’a fui d’une fuite éternelle.

De là ce sentiment de jalousie qui perce si souvent dans son ouvrage. Théophraste avait écrit un traité sur les animaux sujets à l’envie. L’homme devait y être ; ou au contraire n’y être pas, comme tellement supérieur que, spécialement pour ce qui est de l’envie, il doit former une classe à part ; et La Bruyère a montré, à cet égard, que, dans les plus hauts cœurs, il est toujours de l’homme.

Il a horreur en effet de ces grands qui sentent tant de plaisir à se faire prier, presser, solliciter, à faire attendre ou à refuser, à promettre et à ne pas donner ; qui ont quelquefois le goût à mettre les sots en vue et à anéantir le mérite quand il leur arrive de le discerner ;… qui, si vous les saluez, sont mis par vous dans l’embarras de savoir s’ils doivent vous rendre le salut ;… qui, brusques, inquiets, suffisans, bien que sans aucune affaire qui les appelle ailleurs, vous expédient en peu de paroles et, quand on leur parle encore, ont déjà disparu ;… qui sont enfermés et occupés à ne recevoir personne quand on vient les voir et sortis quand on revient ;… qui vous préviennent par leurs civilités quand ils sont dans la médiocrité et attendent qu’on les salue en un autre temps, ce qui vous instruit suffisamment qu’ils sont mieux logés, mieux nourris et mieux meublés qu’à l’ordinaire ;… qui entrent sans saluer que légèrement, marchent des épaules et se rengorgent comme des femmes, prennent la parole et président au cercle, jusqu’à ce que plus grand qu’eux