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survienne, qui les réduise à leur naturel ;… qui, à la vérité, ne méprisent pas toujours le vrai mérite, mais le laissent sans récompense, l’oublient et ne font rien ou peu de chose pour ceux qu’ils estiment beaucoup ;… qui (et non pas eux seulement, mais un peu tout le monde) sont en de telles dispositions à l’égard des sciences et des belles-lettres qu’il n’y a pas d’art si mécanique ni de si vile condition où les avantages ne soient plus sûrs, plus prompts et plus solides ; que le comédien, courbé dans son carrosse, jette de la boue au visage de Corneille qui est à pied ; que, chez plusieurs, savant et pédant sont synonymes ;… qui disent : « il est savant ; il est donc incapable d’affaires ; je ne lui confierais l’état de ma garde-robe ; il sait le grec ; c’est un grimaud, c’est un philosophe… ; » qui ont cet avantage immense d’avoir à leur service des gens qui les égalent par le cœur et par l’esprit et qui les passent quelquefois ;… qui sont, pour la plupart, incapables de ces deux grandes démarches : sentir le mérite et, quand il est connu, le bien traiter.

Il a horreur de ces riches qui, « pourvus de 50 000 livres de revenu, vous disent : « Pour vous, vous êtes riche ou vous devez l’être : 10 000 livres de rente et en fonds de terre, cela est beau, cela est doux et l’on est heureux à moins… ; » qui sont laids, de petite taille et ont peu d’esprit ; mais que l’on regarde avec d’autres yeux, — quelle sottise ! — dès que quelqu’un vous a dit à l’oreille : « Il a 50 000 livres de rente… ; » qui, si les pensées, les livres et leurs auteurs dépendaient d’eux, en feraient une proscription ; qui prennent ce ton et cet ascendant que vous connaissez sur les savans ; qui observent une majesté souveraine à l’égard de ces hommes chétifs que leur mérite n’a ni placés ni enrichis et qui en sont encore à penser et à écrire judicieusement… ; qui vous font dire : « Qu’on ne me parle plus d’encre, de papier, de plume. Après vingt ans entiers qu’on me débite dans la place, suis-je mieux nourri, plus lourdement vêtu, suis-je dans ma chambre à l’abri du Nord, ai-je un lit de plumes ? J’ai un grand nom, beaucoup de gloire, oui, beaucoup de vent. Ai-je un grain de ce métal qui procure tout ?… ; » qui vous font dire enfin, suprême tristesse : « Il est triste d’aimer sans une grande fortune et qui nous donne les moyens de combler ce que l’on aime et le rendre si heureux qu’il n’ait plus de souhaits à faire. »

Il a horreur de ces gens, aussi, qui ne sont pas des grands, mais qui ont réussi auprès des grands, et dont le mérite est