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La foi qu’il a conquise sur les défaillances et les doutes, Tennyson la défendra plus tard contre l’incroyance de son temps ; il en proclamera les articles essentiels : présence, puissance et bonté de Dieu, liberté de l’homme, immortalité de l’âme. Sa poésie montera d’un vol tranquille jusqu’aux cimes où la pensée respire, comme un air du ciel, les révélations de la conscience et de l’extase. De ces hauteurs, le monde matériel n’apparaît plus que comme l’ombre de l’esprit de Dieu. Nous ne connaissons le tout de rien. Le temps n’est qu’une illusion imposée à notre vie consciente. Les misères et les imperfections de l’univers sont des apparences auxquelles est, condamnée notre nature humaine. Pour dépasser l’intelligence bornée, pour croire, il faut mériter de croire. Soyons droits, soyons purs, restons libres. La liberté est un mystère, mais elle est un fait. « Nos volontés sont nôtres, nous ne savons pas comment. » Et notre volonté, qui est la plus haute et la plus durable partie de notre être, se rattache à la volonté divine, d’où procède sa signification spirituelle, éternelle. « O vivante volonté qui dureras — Quand tout ce qui est apparence sera brisé, — Dresse-toi sur le roc spirituel, — Coule à travers nos actes pour les purifier. » Enfin, à quoi pourrons-nous trouver encore de l’importance en ce monde, sans une foi absolue dans l’immortalité de l’âme et de l’amour ? Toute la vie n’est qu’une série de renversemens et de contradictions auxquels on ne voit plus ni signification ni importance, si les espérances qui naissent ici ne sont pas destinées à se réaliser ailleurs…

C’est dans In memoriam que s’éveille et s’exprime pour la première fois cette pensée morale et religieuse. Bien des poèmes la développent dans la suite ; mais nous la trouvons là à sa source et presque tout entière. En même temps, nous voyons apparaître, pour la première fois aussi, la forme parfaite, celle que Tennyson attendait sans doute d’avoir atteinte avant de se reconnaître un artiste. Il le devint, par le recueillement de sa douleur, par son noble effort pour la dépouiller de tout ce qui n’est pas digne d’elle, pour en dégager la plus pure essence humaine et la rendre, si l’on peut dire, transparente au divin. À cette grande école, il enseigna à son art le secret de la beauté la plus simple, qui est aussi la plus touchante ; il l’amena à ce point de perfection où l’émotion, l’idée, les mots et le rythme intimement unis semblent n’avoir jamais été distincts et ne pouvoir plus jamais être séparés.