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aime sont séparés par la vie, en attendant que bientôt ils soient séparés par la mort. Tragique et fatal amour. Comme il était pourtant follement attendu !


Oh ! que la terre ferme — Ne manque pas sous mes pieds — Avant que ma vie n’ait trouvé — Ce que d’autres ont eu de si doux ; — Advienne alors que pourra, — Qu’importe si je deviens fou, — J’aurai eu mon jour.


Puisse durer le ciel si doux — Et ne pas se fermer ni s’assombrir sur moi — Avant que je ne sois tout à fait sûr — Qu’il y a quelqu’un à m’aimer ; — Advienne alors que pourra — A une vie qui a été si triste, — J’aurai eu mon jour[1].


Et après l’attente de l’amour, voici, quand la certitude est venue, l’attente de la bien-aimée. Il y a grande fête chez elle : il n’est pas invité, et, tandis que les ombres des danseurs passent derrière les vitres étincelantes, il rêve dans le jardin de Maud, lui qui est seul ce soir à ne pas la voir dans toute sa gloire, mais qui sait et qui se répète et qui répète à toutes les fleurs dans la divagation de son ivresse : Elle est mienne, pour toujours, à jamais. Elle va venir ; la nuit a pâli ; voici l’aurore. Elle va venir. Elle vient…


Elle vient, ma colombe, ma chère ; — Elle vient, ma vie, mon destin ; — La rose rouge s’écrie : « Elle approche, elle approche ; » — La rose blanche pleure : « Elle tarde ; » — Le pied-d’alouette écoute : « J’entends ; »>— Et le lys murmure : « J’attends. »


Elle vient, mon trésor, ma suave ; — Son pas fût-il toujours aussi aérien, — Mon cœur l’entendrait et bâtirait, — Fût-il terre dans un lit de terre ; — Ma poussière l’entendrait et battrait, — Fussé-je mort depuis un siècle ; — Elle tressaillirait et tremblerait sous ses pas, — Et refleurirait pourpre et rouge[2].


Encore n’est-ce là, pourrait-on dire, qu’un délicieux chant lyrique, un des plus embaumés, un des plus frémissans de la poésie anglaise. Mais la passion a-t-elle jamais laissé éclater plus de douleurs et d’amertume que dans cette plainte où se révèle la souffrance d’une blessure envenimée ?


O ma cousine au cœur sans foi, ô Amy qui étais mienne et qui ne l’es plus… Tu t’abaisseras de jour en jour à son niveau. Ce qui est raffiné en

  1. Maud, XI.
  2. Ibid., XXII, X et XI.