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d’être tout ce que comporte sa nature de femme ; car la femme n’est pas un homme ébauché, mais un être différent : si nous la rendions semblable à l’homme, il faudrait voir mourir l’amour et ses suavités. Car cette harmonie n’est pas un même son répété : elle est l’accord de deux sons qui se ressemblent sans se confondre.

Avec le temps cependant et de longues années, le compagnon et la compagne sont destinés à se rapprocher de plus en plus. Lui, il croîtra en douceur et en élévation morale sans perdre les muscles qui se tendent pour lutter ; de son côté, elle acquerra plus d’ampleur d’intelligence sans perdre ses instincts de mère, sans que la pensée étouffe en elle les grâces enfantines. Homme et femme toujours, ils iront s’unissant toujours davantage, jusqu’à ce qu’enfin elle s’adapte à lui comme une musique parfaite à de nobles paroles. C’est ainsi que côte à côte je les vois à l’horizon du temps, assis comme deux jumeaux dans la splendeur de leurs facultés, recueillant la moisson du passé et semant l’avenir, distincts dans leur individualité, se vénérant l’un l’autre, et se respectant eux-mêmes… Puissent ces espérances se réaliser !

Elle répondit en soupirant : — « J’ai bien peur qu’elles ne se réalisent pas. » — « A nous du moins de les symboliser dans notre propre vie, et que pour nous périsse cet orgueilleux mot d’égalité, puisque à lui seul chaque sexe n’est qu’à moitié lui-même, et que, dans toute véritable union, il n’y a plus d’égal, ni de supérieur : l’un apporte ce qui manque à l’autre, et tous deux, enveloppés l’un dans l’autre, pensant et voulant l’un dans l’autre, ils produisent à eux deux l’être unique et parfait, le cœur à deux battemens dont la palpitation fait la vie. »

Et soupirant de nouveau, elle reprit : — « Le même rêve que j’ai fait autrefois ! Quelle femme a pu vous apprendre toutes ces choses[1] ? »


Tout en travaillant à sa grande œuvre, Les Idylles du Roi, où une légende à la fois nationale et humaine mettait son génie sur la ligne même du génie de la race et lui offrait les plus beaux thèmes lyriques, Tennyson se tourna vers le drame. Il avait toujours aimé à mettre en scène des personnages, à représenter des situations et des caractères, et son lyrisme, nous l’avons dit, n’était pas, comme celui de nos romantiques, l’expression d’une individualité penchée sur elle-même et incapable de se détacher de sa propre contemplation. Mais il semble qu’à notre époque un grand poète ne puisse pas être un grand dramaturge. La poésie du XIXe siècle, — nous ne savons pas ce que sera celle du nôtre, — était à la fois trop intime, trop inquiète et trop haute. Elle avait à exprimer trop d’émotions et de pensées ; elle était tourmentée par trop de problèmes. On la vit tour à tour rêveuse, méditative ou prophétique ; elle puisa aux sources de

  1. The Princess ; a Medley, IV.