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-nement de la République estimait en effet que la formule allemande n’était pas admissible, et que les doubles regrets qu'elle suggérait n’auraient pas eu un caractère équivalent. En regrettant que ses officiers et que ses soldats eussent porté atteinte aux prérogatives consulaires allemandes, la France ne se serait pas bornée à une démarche de courtoisie : elle aurait préjugé le fond même du débat. L’Allemagne, au contraire, en regrettant que son consul eût manqué de discernement dans la distribution des sauf-conduits, n’aurait fait que constater une vérité d’évidence, à savoir qu’un consul allemand n’a pas à protéger des Russes, des Suisses et des Autrichiens. Les deux termes de l’équation étaient donc de nature différente et d’inégale valeur. L’Allemagne énonçait un regret qui ne signifiait rien. La France en exprimait un qui signifiait trop. M. Pichon estimait en conséquence que la seule solution possible consistait à regretter l’incident lui-même, à le regretter simultanément, sans le détailler, sans l’analyser, sans le dissocier en ses élémens, sans anticiper en un mot sur la décision des arbitres. Après quinze jours de discussion vaine et de chicane irritante, on était au même point qu’au début. Et peu à peu, l’irritation se communiquait de la presse à l’opinion. On avait le sentiment troublant que les mots menaient les hommes et que la rupture pouvait éclater sans que nul ne l’eût réellement voulue. Les deux thèses s’opposaient l’une à l’autre, invariables et menaçantes dans leur fixité. En Allemagne, l’étonnement dominait, avec la mauvaise humeur. En France, la conviction naissait que l’heure décisive approchait et la vanité constatée des efforts transactionnels acheminait le pays vers les résolutions viriles. La tenue morale était d’ailleurs excellente. A la Chambre, si désemparée en 1905, le gouvernement trouvait en face de lui la trêve des partis. On était résigné à l’inévitable, conscient de la déchéance qu’eût imposée à la France une capitulation nouvelle. Un recueillement silencieux préparait la nation à l’action. Et déjà on prenait les précautions nécessaires. Le corps d’armée de Nancy était consigné. Le général en chef de Lacroix était autorisé en principe à préparer le rappel de la classe libérée en septembre. Le gouvernement russe et le gouvernement anglais nous assuraient de leur appui. L’absurde insignifiance de l’incident, occasion du conflit, s’évanouissait au regard des intérêts vitaux qu’on pensait avoir à débattre. On regardait la lutte imminente comme l’exigence tardive d’une nécessité histo-