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Sous quelle forme se produisit la reconnaissance de Lenormant ? Fut-ce par un don pur et simple qu’il s’acquitta ? Ou se crut-il obligé de ménager la fierté de César Ducrest et de sa femme en lui consentant un prêt à longue échéance et sans intérêt ? Quoi qu’il en soit, les relations entre Lenormant et les Ducrest persistèrent, soigneusement entretenues par ceux-ci. C’est chez « la comtesse » de Bellevaux que descendent M. et Mme Ducrest venus à Paris pour y faire baptiser la jeune Félicité ; ils choisissent pour marraine Mme de Bellevaux, le parrain est Bouret, l’ami et l’âme damnée de Lenormant, et après un séjour de plusieurs mois à Paris, la fillette est conduite par sa mère à la campagne chez Lenormant lui-même. C’est Ducrest et sa femme qui, avec Mme de Bellevaux, non seulement vont présenter au chapitre d’Alix les deux petites filles reconnues sous le nom de Ducrest de Chigy, mais encore s’engagent, par une hypothèque sur leur terre de Saint-Aubin, à payer, en outre du capital exigé, la rente viagère annuelle prescrite pour chacune des deux chanoinesses, « leurs nièces. » En 1758, moins de six années après l’acquisition du marquisat de Saint-Aubin par les Ducrest, Lenormant le rachète pour 91 000 livres. Cependant les Ducrest continuent à en porter le titre. C’est sous le nom de marquis de Saint-Aubin et de baron de Bourbon-Lancy que César Ducrest est désigné dans toutes les pièces des scellés du commissaire, rédigées après son décès (14 juillet 1763). Enfin, fait plus caractéristique encore, Ducrest intente à Lenormant devant le Châtelet un procès par lequel il se prétend a substitué » à la terre et au marquisat de Saint-Aubin. A quel titre pouvait-il réclamer une telle générosité, si ce n’est en vertu de promesses verbales que Lenormant n’aurait pas tenues, ou par un acte de chantage qui, dans l’histoire d’un aventurier comme Ducrest, n’est point impossible ?

Les Ducrest appartenaient cependant à une famille d’authentique noblesse remontant au XVe siècle. Ils étaient « de robe » à l’origine. Mais de bonne heure, ils avaient tenté de s’élever en prenant du service dans les armées ou sur les vaisseaux du Roi. Soit que les occasions de se distinguer leur eussent manqué, soit que la chance n’eût pas favorisé leur effort, ils n’étaient point parvenus à la fortune. Restés de petits seigneurs « engagistes, » c’est-à-dire ne possédant pas en fonds leurs terres, dont ils renouvelaient ou non à chaque transmission l’achat temporaire,