Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/862

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préoccupa de mon éducation que sur un point : il voulait absolument me rendre une femme forte, et j’étais née avec une foule de petites antipathies ; j’avais horreur de tous les insectes, surtout des araignées et des crapauds ; je craignais aussi les souris, je fus forcée d’en élever une… Il m’ordonnait sans cesse de prendre avec mes doigts des araignées et de tenir des crapauds dans mes mains, chose qu’il faisait continuellement. À ces commandemens terribles, je n’avais, plus une goutte de sang dans les veines, mais j’obéissais. »

Des Mémoires de Mme de Genlis, il résulte que l’enfant poussa toute seule, comme elle put, au hasard des soins mercenaires. De sa longue claustration, Mme Ducrest avait gardé une déplorable frivolité. Elle se complaît à des amusemens romanesques et puérils et à des travestissemens de petite fille. La mère semble bien réellement jouer à la poupée avec cette jolie enfant. Nul souci sérieux pour le développement de la petite personne. Il est curieux que la femme qui devait inventer des systèmes d’éducation si compliqués ait été dans sa première enfance si entièrement livrée à(elle-même, et, dans les années qui suivirent, victime, pourrait-on dire, de l’éducation la plus bizarre qui fut jamais.

En fait d’études, ce fut bien simple : on ne lui enseigna rien. En revanche, on l’exerça surabondamment à tout ce qui peut faire une petite fille maniérée et importante. Naïveté et sensibilité de commande, voilà ce qu’apprend cette enfant de six ans ; et ce sont des leçons qu’elle n’oubliera plus. On l’habitue au manque de naturel comme d’autres à la simplicité. Dès lors, avec ses moyens enfantins, elle vise à ce qui sera l’idéal de toute sa vie : étonner, se faire distinguer entre toutes par des actions singulières.

S’il faut l’en croire, tout fut extraordinaire dans son enfance. Les interventions de la Providence se multiplient de façon surprenante pour l’arracher à des dangers de toute sorte. Dès le lendemain de sa naissance, on l’avait déposée toute menue, dans un coussin épingle aux quatre coins, sur un fauteuil. Voilà le gros bailli de l’endroit qui, venu en visite, s’apprête à s’asseoir, les basques déjà levées ; on n’eut que le temps de le tirer par son habit. Elle échappe à l’eau, au feu : on la repêche dans l’étang,