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De retour à Saint-Aubin, la fête reprit de plus belle. Jusqu’ici l’enfant, livrée aux femmes de chambre, ne voyait sa mère qu’un moment chaque jour. Le reste du temps, elle l’employait à sa guise, à errer dans ce grand château « antique et délabré, » qui ressemblait un peu à un château de Radcliff, se racontant à elle-même de fantastiques histoires sur le thème fourni par les inventions de revenans dont les servantes avaient rempli sa mémoire. Le voyage à Paris ayant éveillé la coquetterie maternelle, on jugea le moment venu d’instruire la petite. Elle savait déjà lire : on lui enseigna donc à danser, à chanter, à jouer du clavecin, à réciter des vers, à faire des grâces. A tout cela elle allait réussir en perfection.

Dans une fête champêtre, sorte d’opéra-comique, composé par Mme Ducrest, avec prologue mythologique, la fillette se tira si bien du rôle de l’amour, elle parut à tous si jolie dans son « habit couleur de rose, recouvert de dentelle de point parsemée de petites fleurs artificielles de toutes couleurs, » avec son carquois et ses petites ailes bleues, que non seulement le nom d’Amour lui resta, mais le costume. Elle dut se promener dans le château et dans le village avec ses « petites bottines couleur de paille et argent, » son carquois, son arc et tout le poétique attirail que nous venons de décrire. Elle eut plusieurs habits d’Amour, un pour les jours ouvriers et un pour le dimanche. Ce jour-là seulement, on ne lui mettait point d’ailes, et pour aller à l’église, on lui jetait sur les épaules une grande mante couleur de capucine qui l’enveloppait tout entière. Cette bizarrerie se prolongea presque une année. Cherchant à l’expliquer, Mme de Genlis écrit : « Dans ce temps, on raisonnait fort peu, on faisait avec une grande simplicité beaucoup d’actions étranges, surtout en province, où la bonhomie du voisinage de châteaux était portée au comble. » Il est vrai qu’il a subsisté et qu’il subsiste encore dans les amusemens de province une certaine naïveté, un goût de mystification enfantine par exemple, qui paraîtrait sans saveur ou même déplaisant à des citadins. Mais autre chose est le divertissement puéril de quelques heures, s’exerçant en brimades inoffensives, et ce cabotinage romanesque introduit de vive force dans la vie ordinaire, mêlé de façon inséparable au tran-tran de l’existence journalière. Et sur l’enfant, quel fâcheux effet, à l’âge où les impressions se gravent, où se contractent les habitudes morales ! Dans la vie, tout lui apparaîtra sous l’aspect