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La majeure partie du temps était consacrée au clavecin, au chant, puis aux armes, à l’étude des rôles ; le reste de la journée, la petite était confiée aux soins de son institutrice, Mlle de Mars. En dehors du catéchisme et des notions d’histoire sainte, l’enseignement de cette jeune personne comprenait presque uniquement la lecture et le commentaire des romans. Elle oublia même l’écriture ; la petite fille était réduite à lui dicter ses enfantines élucubrations, romans et comédies. Car, dès l’âge de huit ans, elle composait des romans, nous dit-elle. Le premier livre que choisit Mlle de Mars pour sa jeune élève, fut Clélie ! Son excuse est qu’elle n’avait elle-même que dix-sept ans, et que les vertus, la candeur et la piété que lui reconnaît Mme de Genlis ne pouvaient suppléer à un peu de jugement et d’expérience. Il n’est pas douteux, que celle-ci exagère, dans ses Mémoires, écrits soixante ans plus tard, ses sentimens et ses impressions d’enfant. Mais, en dépouillant les faits de toute rhétorique, il reste qu’elle avait dès lors plus d’imagination que de raison, et une inquiétante disposition au romanesque. Quant à savoir si, en vérité, elle se relevait la nuit, à l’âge de dix ans, pour se prosterner sur le plancher de sa chambre en adorant Dieu ; ou encore, si elle contemplait ou non avec extase les arbres, les fleurs et la nature entière, en y cherchant des preuves de l’existence de Dieu, il est trop évident que de telles exagérations de langage écartent d’elles-mêmes toute critique. « Les sentimens religieux sont nés avec moi, » affirme-t-elle. Il le faut croire, et sans doute furent-ils tenaces, puisque, à l’époque même où elle n’avait pas renoncé au diable, elle s’érigera en « Mère de l’Eglise. » Mais pourtant, souvenons-nous que ses Mémoires sont contemporains de la date où toutes ses lettres, celles à Casimir Baecker en particulier, se terminaient par ce refrain : « Travaillons pour la divine religion. » Ce que nous admettrons avec elle, sans conteste, c’est que, « sous ce rapport, aucune éducation ne fut comparable à la sienne. »

Volontiers, à force de parader, de recevoir d’enthousiastes éloges sur ses grâces, et sur des talens qui, en effet, ne sont pas ceux de son âge, elle se considère elle-même comme un jeune prodige. Et déjà se manifeste en elle une vanité ombrageuse de petite comédienne accoutumée aux applaudissemens. Certaines pages de ses Mémoires sont à cet égard d’un effet comique irrésistible, pour qui connaît tant soit peu à l’avance la vie de