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retrouverons plus d’une fois, dans sa longue vie, matière à nous poser cette question, et peut-être à y répondre.

On l’a pu voir, l’éducation de Félicité Ducrest se poursuit, malgré une sorte de brisure apparente, avec une unité rarement réalisée. Talens et caractère, l’enfant se développe dans sa voie. On faisait à Passy de l’excellente musique ; les concerts de M. de La Popelinière étaient réputés. La fillette en profita. Elle entendit les meilleurs maîtres, et reçut leurs directions ; là, enfin, elle connut Gaiffre, célèbre alors, et par lui fut initiée au jeu de la harpe, qui allait lui valoir dans le monde presque autant de succès que sa beauté ou ses écrits. Elle avait acquis sinon un talent, du moins une virtuosité précoce. Elle ne négligeait d’ailleurs aucun moyen de plaire, chantait, jouait la comédie, accourait au salon dès qu’on le lui demandait pour exécuter un air sur le clavecin, sur la guitare ou sur la musette, ou même un pas de danse. « Je jouai un rôle d’ingénue, écrit-elle, et un autre de soubrette, dans deux pièces intitulées l’Indolente et les Joueurs. Je dansai à ces représentations une danse, seule, qui eut le plus grand succès. Un maître de ballet de la Comédie italienne, nommé Deshaies, m’apprit cette danse, que l’on me fit danser non seulement sur le théâtre, mais, continuellement dans le salon. » Rien ne lui coûte de ce qui peut la mener à la fortune ; on le lui redit sans cesse, elle ne peut l’attendre que d’elle-même, de ses grâces et de ses talens ; et il semble bien que, dès lors, par ruse ou par force, elle est décidée à la conquérir.

Mme Ducrest allait trouver dans une autre famille de financiers, chez les de Joui, à Chevilly, quelques mois de tranquillité et de détente. Avec des apparences rustiques, la maison offrait un luxe raffiné. C’était une sorte de Petit-Trianon avant la lettre, caché dans les bois et les fleurs. Les belles dames y jouaient à la fermière en robes à panier et en coiffures poudrées. Plus encore que le merveilleux verger, la laiterie éblouissante, toute en marbre blanc et coquillages nacrés, enchantait Félicité ; en cela, elle était bien de son temps ; toute sa vie, elle aimera la nature et les plaisirs des champs surtout en des arrangemens ingénieux et factices. Mais il fallut quitter brusquement ce séjour aimable ; la ruine de M. de Joui, arrêté et enfermé à Pierre-Encise, chassa tous les hôtes. L’accent des Mémoires de Mme de Genlis est ici faux à souhait. Elle narre cet événement sur le