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Pour ces règnes, en effet, dont il avait d’une main ferme tracé les contours généraux, fait valoir les parties en relief, M. Luchaire sentait le besoin de scruter les détails, de mettre chaque chose ou chaque homme à sa place, et, après avoir montré dans leur ensemble toutes les faces du gouvernement royal, de suivre comme pas à pas les actes des gouvernans. De ces procédés, l’Allemagne nous avait donné l’exemple. Elle avait inauguré ce système des Jahrbücher, qui, règne par règne, année par année, enregistraient les documens comme les événemens. M. Luchaire fut entraîné à appliquer aux rois capétiens cette méthode de monographies. En 1885, paraissait le premier de ses grands ouvrages d’érudition, les Études sur le règne de Louis VII. L’auteur, qui avait fouillé dans la Bibliothèque nationale et les Archives, pouvait cataloguer 798 actes de ce roi, les classer dans un ordre régulier et, avec leur aide, reconstituer les itinéraires, la date des séjours royaux, la succession des grands officiers, en un mot, toute l’ossature du règne. En 1891, il publiait, sur le prédécesseur de Louis VII, un travail semblable : Louis VI le Gros, Annales de sa vie et de son règne. Ici, s’appuyant sur la chronologie des chartes et des documens, il unissait les deux méthodes, celle de la chronologie et celle de l’analyse, étudiant la jeunesse du roi, sa vie, son gouvernement, son action militaire et politique, ses rapports avec Rome, le clergé, les grands vassaux, la société populaire. — Œuvres d’érudition pure… Assurément. Mais qui ne voit les services inappréciables qu’elles ont rendus ? En tout cas, elles n’étaient point pour M. Luchaire un simple exercice de critique. Il eût voulu entraîner la science historique vers les grandes monographies, préface nécessaire d’une histoire générale. Sa tentative est restée isolée. Il faudra y revenir si on veut reconstituer toute la trame de notre passé.

Dix années de recherches, en lui donnant la maîtrise de l’histoire politique des XIe et XIIe siècles, l’avaient mis en présence aussi de l’histoire sociale. L’étude de la royauté le conduisait à celle de la féodalité. A vrai dire, aucun sujet plus vaste, plus ignoré, plus difficile, qui ne demande des connaissances plus variées, une préparation plus longue. Ici, l’historien ne se trouve plus seulement en face de quelques hommes ou d’institutions déterminées, mais de la vie collective tout entière. Celle-ci est complexe : le groupe féodal est à la fois un État, un domaine, un atelier, un marché, enclos fermé aussi solidement