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autre chose que l’art en ce monde ! Il y a tout, avant de songer à cette dorure, qui n’est qu’un effet, jamais une cause dans les destinées humaines. Pour mon compte, je travaille maintenant à mes heures, comme si de rien n’était, bien que cela ne rapporte plus ni argent, ni honneur. L’art est un charmant passe-temps, qui n’a pas besoin du public pour satisfaire l’artiste… Je m’habituerais donc fort bien à ne travailler que pour moi et quelques amis, si je pouvais trouver dans un métier quelconque le moyen de payer mes dettes et celles de ma famille. Je continue à écrire l’Histoire de ma vie. J’ai presque fait la moitié de ce que j’en veux publier, dans les dix volumes qu’on m’a achetés et qui devaient me remettre à flot. Mais cette affaire est en panne, les éditeurs voulant attendre des temps plus favorables. J’ai fait un petit roman pour le Crédit, journal que notre ami Jourdan rédige et doit vous faire parvenir, je pense. Ledit ami Jourdan m’a bien écorchée dans ce marché, par parenthèse. Moi qui, dans la misère générale, ne sais pas et ne saurai jamais profiter, pour me soulager, de la misère particulière, je ne m’attendais pas à cela de sa part. Mais je ne lui en dirai rien. À quoi bon ? Quand on le fait, c’est que la conscience ne vous défend point de le faire. Je comprendrais l’économie de la misère dans un journal qui se ferait l’organe du peuple, le défenseur du vaincu. Mais le journal de Jourdan ménage si tendrement la bourgeoisie, c’est-à-dire le vainqueur, que je ne vois pas l’utilité de ce journal, ni celle du sacrifice qu’il m’impose… »

Ainsi s’achevait l’année 1848, dans la gêne et les rancœurs. Des tristesses de famille brochaient sur le tout. Solange était déjà presque ruinée par son mari, et s’éloignait chaque jour davantage de sa mère. Abreuvée de déceptions, George Sand, avec une rare force d’âme, s’était raccrochée au travail comme au salut suprême. C’est le travail qui l’a sauvée de tous les naufrages. L’Histoire de ma vie lui fournit une diversion puissante. Et son calme d’esprit était tel, qu’elle pouvait écrire, entre une Préface au livre de Borie, Travailleurs et propriétaires, et une Lettre au prince Louis-Napoléon, ce chef-d’œuvre rustique qu’est la petite Fadette. C’est le « petit roman » qui parut dans le Crédit, à partir du 1er décembre, et pour lequel l’ami Jourdan l’écorcha. Ce bijou fut payé un morceau de pain.

Tout en s’abstenant de l’action directe, elle ne renonçait pas encore à dire son mot sur la politique. Mais ce mot était