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ce qui s’annonce, c’est l’ère des rigueurs. Brusquement, en février 1850, un ami de George Sand est frappé : plus qu’un ami, un hôte de Nohant, presque un collaborateur politique, Victor Borie. Les juges de Châteauroux octroient un an de prison et 2 000 francs d’amende à Borie pour un simple article, modéré de ton. Ce rude avertissement, donné à George Sand et à ses amis dans leur propre province, faisait présager tout ce qui devait s’ensuivre. George Sand est maintenant prudente jusqu’à l’abstention dans ses lettres ; elle ne s’occupe plus de politique, mais de théâtre. C’est à Paris, où elle vaquait à ses affaires, que, en plein succès de Victorine, le coup de force la surprend.

Le 1er décembre, elle allait voir un vieil ami mourant, M. Sheppard, et recevoir son accolade suprême. Son Journal de décembre 1851 note cette visite et l’impression qu’elle en rapporta, à la fois triste et sereine[1]. Dans la journée, Emmanuel Arago lui parla d’un coup d’État possible, et facile. George Sand passa la soirée au cirque, avec Solange et Manceau. En rentrant avec sa fille rue Verte-Saint-Honoré, elle vit l’Elysée sans lumières, silencieux. « Ce n’est pas encore pour demain, » dit-elle en riant. À son réveil, elle apprenait les événemens de la nuit, Cavaignac et Lamoricière à Vincennes, l’Assemblée dissoute, le suffrage universel rétabli. Elle lisait les proclamations, sortait, voyait l’affolement général, bientôt accru par des bruits sinistres. La fusillade commençait. Le 4, au soir, elle quittait Paris au sifflement des balles, et allait s’abriter à Nohant.

« Chers enfans, écrivait-elle à Poncy le 6 décembre, ne soyez pas inquiets de moi. Je suis de retour à Nohant depuis hier matin avec Manceau, ma fille et ma petite-fille. J’ai trouvé le pays aussi tranquille qu’on peut l’être au milieu d’événemens si soudains et si étranges. J’ai laissé à Paris tous nos amis bien portans. Je ne vous dis pas ce qui se passe. Ici on est déjà si loin de Paris qu’on ne sait aucun détail, et, quant à ce que j’ai vu, vous le saurez plus tôt que je ne vous le dirais. Nous parlerons de tout cela dans un moment plus calme. Mon succès de Victorine allait bien[2] ; mais vous pouvez penser que les

  1. Ce journal, rédigé du 1er  au 8 décembre 1851, a paru sous le titre de « le coup d’État à Paris, » dans Souvenirs et idées (1904, p. 78-134). Il comble les lacunes de la Correspondance durant ces journées tragiques. George Sand écrivait pour elle ce qu’elle ne pouvait confier à ses amis.
  2. Le Mariage de Victorine fut représenté le mercredi 26 novembre 1851, au Théâtre-Français.