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ou du savoir qu’elle juge les hommes : c’est à l’intérieur. Elle a un instinct inné, à peu près infaillible, de la bonté cachée de certains êtres ; et l’on croirait qu’elle possède la pierre d’aimant qui, selon Platon, aide à découvrir les âmes et à former entre elles une chaîne continue. Quand elle a une fois touché de ce talisman une âme parente de la sienne, c’est pour toujours. Et la familiarité vient d’elle-même, sans plus tarir que ne tarit la source à son point naturel d’émergence. Tantôt elle dit tu, tantôt elle dit vous ; mais qu’importe ? Elle tutoie par sa tendresse, et tous ses gestes sont de fraternité. Dans ces liaisons d’instinct et d’âme, où tout est pur, elle est sans « réserve, » puisqu’elle donne toujours le meilleur d’elle-même. Ni calcul, ni réticence ; c’est le don de soi dans toute sa candeur. Là est la preuve la plus lumineuse de cet idéalisme foncier qui lui faisait voir tout ce qui est du monde extérieur comme l’accident, tout ce qui est du monde intérieur comme l’immuable. C’est bien son goût de l’au-delà qu’elle satisfaisait en pénétrant dans le fond insoupçonné des êtres, les révélant parfois à eux-mêmes, et les enchantant d’une communion spirituelle qui décuplait aussitôt leur valeur. Sans cesse en quête du divin, elle le dégageait de l’humain à certaines rencontres ; grande créatrice d’âmes qu’elle fut ainsi, chez ceux qui purent avoir d’elle certain contact. Ainsi se démêlait-elle dans les autres, en s’y mêlant. Elle eut de la sorte des amitiés qui au vulgaire paraissent étranges, inexpliquées. Les expliquera facilement au contraire quiconque aura pénétré cette nature d’exception, à la fois mâle et féminine, qui a toujours cherché ce qui ne passe pas dans ceux qui passent, et qui, au fond, quoique passagèrement attachée à certains hommes par ses amours, et invinciblement à l’homme par l’amour, n’a cependant jamais cherché, d’inquiétude d’abord, puis de certitude, que l’éternel. C’est ce goût de l’éternel qui a mis, à une date donnée, en elle calme et lumière. C’est cela qui l’a fait traverser les plus atroces douleurs comme des épreuves momentanées, nécessaires, bienfaisantes ; c’est cela qui la rendait voyante en amitié, pareille toujours, insoucieuse du temps qui passe, derrière lequel, en avant duquel elle apercevait l’immortalité. Aussi ne se reprenait-elle jamais, quand elle s’était donnée de cette façon. Les trente-quatre ans de l’amitié pour Poncy, les quarante ans de la prédilection pour Rollinat, dix autres intimités non moins longues, ont passé pour elle comme un jour.