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de la Porte avait toujours été amicale et loyale, qu’elle continuerait de l’être, et enfin que l’ile était entre les mains des quatre puissances garantes.

Cette réponse du gouvernement hellénique, la seule qu’il pût l’aire, semble devoir le dégager du côté de la Porte. Mais la question crétoise reste entière, et elle ne sera résolue que le jour où les puissances garantes auront fait entendre aux autorités crétoises un langage assez sérieux pour qu’il en soit tenu compte. Si le résultat n’est pas atteint par une simple manifestation de volonté, les puissances peuvent passer de la parole aux actes. Elles ont des vaisseaux qui protègent le pavillon ottoman dans la baie de la Sude et ces vaisseaux ont quelques troupes de débarquement. On peut aussi autoriser le gouvernement ottoman à prendre lui-même les mesures qu’il jugera convenables pour défendre ses droits. On peut encore bloquer l’île. Elle entrera en insurrection, disent les dépêches : nous voudrions savoir contre qui. Cette perspective ne parait pas bien effrayante. Les Crétois se soumettront lorsqu’ils verront qu’ils n’ont pas autre chose à faire ; mais il faut qu’ils le voient d’une vue très claire, et cela dépend des puissances. Quant au statut définitif de la Crète, le moment ne paraît pas venu de le fixer. La Porte a insisté à plusieurs reprises auprès des puissances pour que des négociations fussent immédiatement entamées à ce sujet : il ne serait pas prudent de s’y prêter sans quelques précautions préalables, dont la première doit être demandée au temps lui-même. Le chirurgien attend que la fièvre soit tombée pour opérer à froid : attendons comme lui.

Ce gros nuage disparaîtra comme d’autres ; mais on voit à combien peu de chose tient la paix des Balkans. L’impatience d’un petit pays, un coup de tête de la Porte, un coup de fusil intempestif peuvent la compromettre, et alors il est impossible de prévoir à quelles tentations d’autres puissances peuvent se laisser entraîner. La Bulgarie est derrière la Macédoine, elle se tient l’arme au pied et attend l’occasion. M. Isvolski, dans les conversations qu’il a eues avec M. Pichon à Cherbourg et avec sir Edward Grey à Cowes, a dit qu’il ne surviendrait aucune complication dans les Balkans, « tant qu’aucune puissance européenne ne manifesterait d’ambitions particulières de ce côté. » Mais tout peut arriver et nous avons déjà vu des ambitions jusqu’alors ignorées se produire avec une soudaineté déconcertante. L’Europe, cependant, a droit à la paix, puisqu’elle la veut ; mais qui veut la fin veut les moyens. La question ne doit pas rester à la merci d’un incident.