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LE PRINCE DE BÜLOW.

finiment sous la pression du chantage allemand. » Écoutez ce que dit un Anglais, le mieux renseigné qui soit sur la diplomatie de son pays et les desseins de son souverain : « Nos relations avec l’Allemagne sont dictées par les leçons de notre histoire. Nous n’avons aucun sujet assurément de querelle inévitable avec elle, tant que la politique allemande se tient dans les limites que lui ont assignées jusqu’ici les déclarations officielles du gouvernement impérial. Mais nous ne nous dissimulons pas qu’il y a en Allemagne un fort courant d’idées qui, tôt ou tard, entraînera peut-être le gouvernement à dépasser ces sages limites. Or, il y a une politique anglaise qui a survécu et qui survivra de siècle en siècle, tant que nous ne serons pas déchus de notre rang de grande puissance. Cette politique consiste à lutter de toutes nos forces contre toute puissance qui cherche à renverser en sa faveur l’équilibre européen et à dominer le monde par sa prépotence, — que cette puissance s’appelle, comme autrefois l’Espagne, ou, comme plus récemment, la France sous Louis XIV et Napoléon Ier, ou, à l’avenir, l’Allemagne sous les Hohenzollern[1] ! »

En juillet 1903, la négociation commence entre l’Angleterre et la France. Le 8 avril 1904, le traité, qui liquide leurs querelles passées, est signé. M. de Bülow, qui visiblement ne l’a point prévu, semble en prendre son parti. Il n’a, dit-il, au point de vue des intérêts allemands, rien à y objecter[2]. Il ajoute deux jours plus tard qu’il est résolu à ne pas jeter l’Allemagne dans les aventures, à pratiquer une politique de calme réfléchi et même de réserve[3]. Mais, immédiatement, il apparaît que le chancelier, en parlant ainsi, n’est pas d’accord avec l’Empereur ; et dès lors, il est certain que l’attitude du premier ne tardera pas à se régler sur celle du second. Coup sur coup, Guillaume II prononce des discours pessimistes, où s’enveloppe une critique indirecte à l’égard de son ministre : « Pensons, dit-il, à la grande époque où fut créée l’unité allemande, aux combats de Wœrth, de Wissembourg et de Sedan. Les événemens actuels nous invitent à oublier nos discordes intérieures. Soyons unis pour le cas où, dans la politique mondiale, nous serions contraints d’intervenir[4]. » Le 1er  mai, il inaugure un pont, qui, « des-

  1. Le Temps, 21 septembre 1907.
  2. Reichstag, 12 avril 1904.
  3. Ibid., 14 avril 1904.
  4. Discours de l’Empereur à Carlsruhe (28 avril 1904).