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LE PRINCE DE BÜLOW.

Il évite de se lier les mains. Quand M. Isvolski vient à Berlin, il le comble de prévenances, et ne lui promet rien. C’est à Vienne et à Constantinople qu’il agit. Le 31 janvier, il touche au but. L’accord austro-turc est certain. Dès lors, l’Allemagne a les mains libres. Rien ne la retient. Toute à son alliée, elle va prouver ce que vaut sa fidélité. Elle se jette à corps perdu dans la mêlée. Et le baron d’Æhrenthal, satisfait, surpris, un peu inquiet de la dette qu’il contracte, trouve à Berlin plus autrichien que lui.

Quand la France et l’Angleterre, avec quelque imprudence d’ailleurs, proposent à l’Allemagne d’intervenir simultanément à Vienne et à Belgrade, le chancelier refuse (22 février 1908). Il est question alors d’une opération en deux temps, qui commencerait à Belgrade et pourrait se continuer à Vienne : mais la Russie prend les devans, et elle agit seule à Belgrade. Aussitôt le mot d’ordre est donné aux journaux officieux : c’est contre la Serbie un déchaînement. Toute la presse allemande feint de croire à la guerre, ou mieux au juste châtiment de l’insolence serbe par la force austro-hongroise que le ton adopté en Allemagne encourage à la résistance. Le jeu n’est pas sans danger ; mais déjà le chancelier s’est fixé le terme qu’il lui imposera. Puisque la Russie, résolue dès le principe à ne pas risquer une guerre pour la Serbie et qui d’ailleurs l’a déclaré[1], hésite cependant à l’abandonner, l’Allemagne lui fournira le motif ou le prétexte de cet abandon. Elle adresse donc à Saint-Pétersbourg un « avis amical : » si la situation se complique et qu’on en vienne aux mains, l’Allemagne remplira vis-à-vis de son allié tout son devoir (fin mars). Comme s’il n’attendait que cet avis pour céder, M. Isvolski répond qu’il reconnaît, sans autres conditions, l’annexion de la Bosnie et de l’Herzégovine. Dès lors, la paix est assurée, et c’est à l’Allemagne qu’en revient le mérite apparent. Elle se l’attribue, sans modestie.

Écoutez le chancelier et mesurez au changement de son ton le changement de la situation. En 1908, quand l’accord n’était pas sûr entre l’Autriche et la Turquie, il nuançait sa fidélité : « Nous ne savions rien de précis sur le moment et la forme de l’annexion. Je ne songe pas à en faire grief au Cabinet de Vienne : je vous avouerai même que je lui en ai été reconnaissant… Le

  1. Discours prononcé à la Douma par M. Isvolski le 25 décembre 1908.