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II. — PLACE VENDOME

A présent que nous voilà fixés sur la vertu de Mme d’Arbouville, remontons un peu le cours du temps et disons tout ce qu’elle fut dans sa « longue histoire avec Sainte-Beuve. »

Et d’abord mettons-la dans son cadre. Il n’était pas banal, le cadre qu’elle s’était choisi. Ce n’était pas le hasard seul ou des raisons de famille qui l’avaient fait s’établir sur la place Vendôme. Elle avait voulu être au cœur de Paris, pour être plus près de tout ce qui l’intéressait : le mouvement, la mode, le château[1], l’Institut.

— Ah ! ma chère, lui disait un jour Mme Narishkine, quelle bonne idée vous avez eue de venir habiter ici ! Comme mon couturier est rue Neuve-Saint-Augustin et ma modiste rue des Capucines, vous êtes sûre de me voir souvent.

Et, en effet. Mme Narishkine était une des colonnes du salon de Mme d’Arbouville. Seulement, de même qu’elle n’était jamais pressée d’arriver, elle ne l’était pas plus de partir. Généralement, elle faisait son apparition quand tout le monde se retirait, et onze heures sonnaient qu’elle bavardait quelquefois encore.

Dans les commencemens Mme d’Arbouville la supportait, parce qu’elle avait toujours à raconter des histoires amusantes ; mais à la fin, la tante Fleming se chargea de régler le temps de ses visites. Tante Fleming était celle de « ses trente-six tantes, » comme disait Sainte-Beuve, qui avait le plus d’autorité sur Mme d’Arbouville. Elle était née d’Houdetot et, si je ne me trompe, la sœur du général, ami des Muses, que le roi Louis-Philippe s’était attaché comme officier d’ordonnance. Depuis que sa nièce avait perdu ses parens (1830-1832), c’est tante Fleming qui les avait remplacés près d’elle. Quand elle était souffrante, — et cela lui arrivait souvent, — c’était elle qui dirigeait sa maison, qui l’accompagnait aux eaux et qui, le cas échéant, tenait sa correspondance. Aussi Mme d’Arbouville l’aimait-elle comme sa mère. Mais à la société des dames Mme d’Arbouville préférait de beaucoup celle des messieurs, et dès qu’elle voyait entrer dans son salon Victor Cousin, Mérimée, Rémusat, Salvandy, Xavier Marmier, Sainte-Beuve, etc., elle laissait là

  1. C’est ainsi qu’on désignait les Tuileries.