Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avant d’être reçu ! Enfin mourir dans l’exil de Claremont, c’est pour lui être mort au champ d’honneur. Mme Récamier a encore été opérée. Cela me paraît de nouveau un résultat douteux. Mais qu’elle se résigne donc ! la vie, l’aveuglement, la mort, mais ce sont les marches d’un escalier ! Descendre est-il plus triste que tomber d’en haut ? Cela m’amène aux Mémoires d’Outre-tombe. C’est un peu tard, ma tête est déjà fatiguée et j’aurais voulu vous en faire un beau jugement. Je vais me reposer quelques instans et je vous reviendrai.

« Me voilà. On lit beaucoup ces Mémoires, on en dit les choses les plus contraires, et tout le monde a raison. On y trouve à foison de quoi blâmer et de quoi admirer. Ce sont les fragmens d’un talent, ce sont les morceaux cassés d’un tout. S’il est au ciel, de là-haut on dirait qu’il laisse tomber ce qui fut lui, puis nous ramassons sans mettre en ordre, et cela fait des taches et des rayons. Quant au style. Mme Narishkine me disait : « Mais c’est du breton ! » — Le fait est que je ne comprends pas tout. Puis il y a de ces beautés d’expression qui n’appartiennent qu’à lui. Mais il s’égare dans le grandiose, il le parcourt et le dépasse. Quant au fond, il se rappelle les faits et a oublié les impressions. Il les met après coup. Ce sont les gestes d’un jeune homme et les réflexions d’un vieillard. De sorte que c’est vrai et c’est faux à la fois. Jamais on n’a mis l’intelligence d’autrui à plus rude épreuve. Elle s’embrouille. Oublie-t-on Atala, René, l’Itinéraire en lisant ces Mémoires, et le passé reconnaissant ne protège-t-il pas un peu l’œuvre du jour ? N’y a-t-il pas un peu le prestige des Souvenirs ? Je ne saurais dire. Si c’était un premier ouvrage, ferait-il une réputation ? J’en doute, mais en étant une dernière parole, cela ne dépare rien et cela supporte l’entraînement avec le reste. Je crains bien que le commencement ne soit le meilleur. L’amour, les rêves, un vieux château, la mer, ce sont des textes qui vont à tout le monde. Mais ce langage, cette fantaisie, ce défaut de plan, appliqués à la politique, que sera-ce ?

« Adieu, monsieur, j’ai les doigts crispés de cette longue épître. Peut-être sera-t-elle un peu rude à lire.


« A la grâce de Dieu ! »