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Quelques jours après elle lui écrivait encore :


Ce dimanche de la Pentecôte,

10 heures du soir.

« Je suis toujours dans l’établissement. Depuis que je ne vous ai écrit, j’ai passé par des phases bien pénibles. La maladie a marché. J’ai eu toutes les angoisses, toutes les désolations imaginables, j’ai bien pleuré dans l’amertume de mon cœur. Depuis quelques jours, mon moral est un peu remonté. Non que je voie du mieux, non qu’en quelque chose ma triste existence soit améliorée ; mais un vieux médecin, homme d’expérience, prétend que tout le monde se trompe sur mon compte, que quoique destinée à souffrir, à être des années malade, pourtant il prétend que le caractère mortel manque à mes maux. Est-il possible que ce vieillard ait raison contre tant d’autres ? Non, mais j’ai besoin d’un moment d’espérance, et j’essaie de croire à ce que j’entends. Je reste donc indéfiniment ici. Ma vie est atroce d’ennui. Depuis quatre heures du matin, je suis ou au lit, ou dans l’eau, sans une seconde de repos. Pas de lectures, pas d’écritures, rien, toujours rien, et une multitude de personnes communes autour de moi. Ah ! mes beaux jours passés ! Vous jugez si cœur et pensée vivent de souvenirs.

« Ma tante Fleming va venir pour quarante-huit heures avec moi. C’est beaucoup et bien peu ! A part que je ne marche pas un quart d’heure de suite, que je suis enveloppée dans des mantelets, je n’ai pas trop mauvaise mine, et âme, intelligence et cœur prendraient encore vivement part au bonheur que me donnerait la présence d’un ami. Je lis vos lettres avec grande joie. Elles me touchent. Promenez-vous, rêvez, aimez, il n’y a que cela de bon dans la vie. Puis racontez-le moi. C’est le seul coin par lequel j’échapperai au positif affreux de ma situation. L’avenir de mon pays m’inquiète. C’est un mauvais moment pour mourir. On est trop incertain sur le sort de ceux que l’on quitte. Adieu. Je voudrais dire au revoir. Mais nous voilà bien loin ! Soignez-vous et écrivez.

« Vous êtes le meilleur ami que j’aie. »


C’est dans ces circonstances douloureuses que Sainte-Beuve fit pour elle le sonnet que voici, le plus beau assurément qui lui ait été inspiré par cet amour unique :