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je n’ai jamais approuvé le gouvernement démocratique. » Il a dit tout aussi nettement : Trois aristocraties : primitive et naturelle (les chefs de famille délibèrent entre eux sur les affaires publiques) — élective ; — héréditaire ; « la première ne convient qu’à des peuples simples ; la troisième est le pire des gouvernemens ; la deuxième est le meilleur. »

Il a dit cela ; c’est incontestable ; ajoutez qu’il est toujours hypnotisé par le gouvernement de sa bonne Genève et que le gouvernement de Genève à cette époque est formellement aristocratique.

Très bien ; mais il n’en est pas moins que le Contrat social est formidablement démocratique, puisque, dans le Contrat social, c’est tout le peuple qui fait la loi et que la loi faite par tout le peuple est inattaquable et sacro-sainte et que tout le peuple faisant la loi est tenu pour infaillible.

Cette contrariété est-elle susceptible de résolution ? Je le crois, et même qu’elle l’est très facilement. Dans le fond de sa pensée, Rousseau distingue, et très nettement, le souverain et le gouvernement. Le souverain, c’est celui qui fait la loi, c’est le peuple ; le gouvernement, c’est celui qui administre. Or, quand il s’agit de législation, il n’y a qu’un souverain c’est le peuple, c’est tous ; voilà qui est démocratique. Quand il s’agit de gouvernement, de celui qui administre, il n’y a qu’un bon gouvernement, c’est des administrateurs nommés par le peuple ; et voilà qui est encore absolument démocratique dans le sens où nous entendons ce mot. Seulement, ce n’est pas démocratie dans le sens où Rousseau entend ce mot, dans la langue de Rousseau ; parce que par démocratie il entend, assez naturellement, à cette époque, on en conviendra, la seule démocratie connue, à savoir la démocratie athénienne. Or dans cette démocratie, souveraineté et gouvernement étaient confondus, le même personnage c’est-à-dire le peuple faisant les lois et faisant les décrets, légiférant et administrant ; et voilà ce dont Rousseau ne veut pas.

Il ne le veut pas, parce que, dans cet Etat, « le droit et le fait seraient tellement confondus qu’on ne saurait plus ce qui est la loi (droit) et ce qui ne l’est pas (fait), et le corps politique, ainsi dénaturé, serait bientôt en proie à la violence, contre laquelle il fut institué. » En d’autres termes, Rousseau ne veut pas du gouvernement direct, du gouvernement syncrétique, où le même personnage fait lois et décrets, légifère et administre, dit la