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prescriptions proprement religieuses, à savoir croyance en Dieu, à l’immortalité, aux récompenses et peines d’outre-tombe. Très naturellement, parce qu’alors la morale sociale se confondait avec la morale, et la morale avec un minimum de croyances religieuses, et que la morale indépendante n’était conçue que par un très petit nombre d’esprits. Tant y a que Rousseau ne fait que mettre aux mains du peuple l’omnipotence doctrinale du roi de l’ancien régime et fait du peuple le « nouveau Constantin » et le « nouveau Théodose » que Bossuet faisait de Louis XIV. Rien n’y manque. On devra croire ce que croit le Roi, c’est-à-dire le Peuple ; ce qu’il croit au minimum ; et il y a de la tolérance dans cette réduction au minimum. On devra le croire comme citoyen, non comme penseur ; et si on ne le croit pas, on sera proscrit, non comme hérétique, certes, mais comme séditieux ; Voltaire n’a-t-il pas dit que les jansénistes lui étaient très indifférens comme jansénistes, mais qu’il les condamnait comme séditieux, tout de même que les chrétiens avaient été martyrisés par les empereurs comme séditieux et point du tout comme chrétiens ? — Il y aura une inquisition ; car pour savoir si celui qui a adhéré à la religion civile, vit, ensuite, comme s’il n’y croyait pas, il faudra bien que quelqu’un examine et de très près sa façon de vivre ; et l’inquisition dénoncera au pouvoir civil l’hérétique relaps, non comme hérétique ni comme relaps, mais comme séditieux et parjure, exactement comme Voltaire, dans les Sentimens des citoyens, réclame la peine de mort contre Rousseau, non parce qu’il pense autrement que Voltaire, mais parce qu’il est « un vil séditieux. » — Remarquez que Rousseau, en ceci, est d’accord, non seulement avec Louis XIV et tous les approbateurs de la révocation de l’Édit de Nantes (avec une simple transposition : les pouvoirs du Roi transférés au peuple) mais, comme je l’ai indiqué déjà, avec toutes les républiques antiques, si en faveur de son temps. Les Républiques antiques admettaient la liberté de pensée dans la mesure où la liberté de penser ne portait pas atteinte au minimum de pensée religieuse tenu pour être nécessaire à l’État, ne portait pas atteinte à la religion en tant que se confondant avec la cité elle-même. Athènes admettait la discussion philosophique ; mais n’admettait pas qu’un philosophe doutât des Dieux qui protégeaient la cité et elle frappait de mort Socrate, d’exil Anaxagore et Aristote parce que Pallas-Athéné leur était évidemment indifférente. Rome admettait tous