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d’esprit sont en réalité des malins, en même temps que des paresseux. On ne leur demande ni tant d’intelligence, ni tant d’habileté, mais un peu de bonne volonté, un peu d’effort.

11 décembre. — J’ai quitté le d’Orvilliers d’assez bonne heure, la tête rompue par le vacarme des riveurs, le ronflement des perceuses électriques et les cris de cinq à six cents braves gens qui ne sauraient travailler, — quand ils travaillent, — sans donner de la voix pour s’encourager…

Je prends la route du Cap-Brun et, tournant à gauche après une demi-heure de chemin, je monte aux Améniers. À mes pieds un grand vallon, où serpente mollement le ruisseau des Amoureux, ondule entre les hauteurs du Cap-Brun et les larges assises du Faron et du Coudon. Mais, de la route même des Améniers, qui ceinture la jolie colline boisée de la Serinette, la vue dépasse les bords du bassin, franchit au levant le plan de la Colle Nègre et de la Colle Paradis, aux profils si curieusement jumeaux, et court jusqu’au Fenouillet, l’odorant Fenouillet, jusqu’au piton d’Hyères, pour ne s’arrêter qu’à la crête lointaine et vague des monts des Maures. Si j’étais un peu plus haut, au balcon de cette villa qu’enveloppent à demi les pins, je découvrirais la grande bleue, là-bas, entre la Colle Nègre et la Colle Paradis, et aussi le chapelet des îles charmantes, Porquerolles, Port-Cros, Bagau, remontant dans la brume de l’horizon, en échelons dégradés.

Mais c’est assez du tableau que j’ai sous les yeux et dont il faut se hâter de jouir, car le soleil a disparu, la nuit vient vite, chaussée de velours sombre, et dans les vapeurs du soir, qui s’élèvent des fonds boisés, comme une marée de rêve, se noie peu à peu la courbe élégante des flancs du Coudon, tandis que la tête chauve du mont, retenant encore un peu de clarté, semble se détacher de la terre et monter vers les étoiles naissantes…

J’aime la variété d’aspects de cette belle campagne. Déjà, il y a quelques semaines, de la maison de mon ami Varois, au revers du Cap-Brun, je goûtais l’harmonie de ces plans ondulés, j’admirais cette richesse de palette, la chaude frondaison jaunissante des platanes, nuancée de gris par les eucalyptus, la claire gaieté des jardins découpés sur la nappe de pourpre vive des pampres d’automne, la douceur soyeuse des oliviers atténuant l’austérité des pinèdes et la mélancolie des cyprès, et puis, dans les creux, sur les pentes, ou bien suspendus aux rochers jaunes