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près partout de même. En passant devant les petits bureaux en planches des surveillans techniques, je les ai aperçus couvrant de traits et de chiffres leurs carnets n° 1 et n° 2. Oh ! les écritures sont à jour et bien tenues. Les « dixièmes « sont exactement marqués à chaque ouvrier. Le contrôleur, quand il examinera les pièces élémentaires de la comptabilité des travaux, n’aura rien à y reprendre. Il sera satisfait, cet « œil du ministre... » Hélas ! fictions, mensonges, apparences vaines et décevantes ! Il y a quelques mois, de l’aveu du rapporteur du budget, le d’Orvilliers avait déjà absorbé 700 000 journées d’ouvriers de plus que le Vaudreuil. Mais quel sujet le contribuable aurait-il de se plaindre, si les comptes sont en règle ?...

Le commandant B*** me quitte là-dessus. Tout ce qu’il dit là, je l’aurais pu dire. Mais je suis encore plus impuissant que lui : il faut au moins cinq galons pour en imposer un peu à nos bons ouvriers.

14 janvier. — Le ministre est passé en gare, avant-hier. Le Syndicat se flatte de lui avoir amené de 12 à 15 000 ouvriers pour l’acclamer. Vellerat, un mécanicien principal, qui est du pays et le connaît bien, me donne à ce sujet quelques « tuyaux » particuliers.

— S’il y a eu, me dit-il, 12 000 ouvriers, — et c’est exagéré, je crois, de près de moitié, — soyez sûr qu’à y regarder de près, on aurait reconnu un grand nombre de chemineaux et de paysans du Var, que la crise agricole[1] jette hors de chez eux. Ajoutez-y les intimes du Syndicat, les révolutionnaires de profession et les journaliers de l’arsenal (ceux-ci parce que, leur sort étant plus précaire, ils sont plus échauffés). Quant aux vrais ouvriers de l’Etat, les titulaires, ils se tiennent visiblement sur la réserve, sous prétexte qu’on leur retire d’une main ce qu’on leur donne de l’autre : légère augmentation de solde, mais aussi retraite plus hâtive et refus d’embaucher les enfans comme apprentis. Rozier, le chef ouvrier, me disait l’autre jour que son

  1. Les cultures se transforment : on s’adonne de plus en plus, en Provence, à celle des fleurs et des oignons de jacinthes, de tubéreuses, etc., qu’on exporte dans les pays du Nord par wagons entiers. Or, ces nouvelles cultures, peu pénibles par elles-mêmes, n’exigent pas une main-d’œuvre aussi forte que les anciennes. Il y a donc beaucoup d’ouvriers agricoles sans travail. Et il est assez curieux d’observer qu’à l’époque de la Révolution, de 1791 à 1794, il y eut aussi une crise agraire en Provence, et très grave, celle-là. Or les historiens de Toulon affirment que les pires désordres étaient dus à des paysans des environs, ruinés, affamés.