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tout en larmes, je me tenais assis sur le seuil de votre maison. Je possède encore une bouchée de pain dont vous avez mordu un morceau ; et, — pourrez-vous le croire ? — le jour anniversaire de celui où je vous ai vue pour la première fois, du jour où je vous ai donné mon premier baiser, et de celui où vous m’avez dit : « Je ne vous aime plus ! » je repense ma vie et ma rédemption, et puis je mange quelques miettes de cette hostie, en mémoire de toi !


Suivent des observations des plus sévères sur divers poèmes d’un Atmanach des Muses que venait de publier Sophie Méreau. « C’est chose très dangereuse, pour une femme, d’écrire des vers, et plus dangereuse encore de publier un Almanach des Muses. » Après quoi, Brentano déclare qu’il a formé le projet de composer une « dissertation » sur l’incapacité naturelle des femmes à produire de la poésie, ni aucune autre œuvre littéraire que des traités de cuisine. Et voici comment il s’excuse, devant l’illustre poète de Kalathiskos, de réflexions aussi « cavalières : »


Mes plaisanteries sur les femmes-auteurs ne pourront certainement pas vous fâcher : car je n’ai jamais observé, chez vous, la moindre vanité d’auteur ; et puis vous m’avez déjà tant pardonné ! Mais il y a, je ne sais pourquoi, des choses qui, sans être positivement laides, me forcent toujours à détourner les yeux, quand je les rencontre chez mes amis. Pendant que vous m’aimiez encore, toujours je tremblais lorsque je voyais imprimé quelque chose de vous, et rien ne m’était plus angoissant que de le lire : non point parce que cela était trop mauvais pour moi, ni non plus trop bon, mais simplement parce que je trouvais contre nature que quelque chose de vous fût assez bon ou assez mauvais pour être cloué à jamais en caractères de plomb. Et de même il en est encore, maintenant, que vous ne m’aimez plus… Lorsque j’étais assis auprès de vous, en silence, sur le sofa, je laissais courir mes yeux sur votre figure, et je cherchais le point de vue qui vous flattait le plus et qui cachait le mieux vos petites laideurs de détail : car je voulais que vous fussiez la chose la plus belle qui fût possible, afin de pouvoir vous aimer éternellement…


Désormais, reproches et critiques ne s’arrêteront plus. Brentano fait entendre à Sophie qu’elle serait en âge de renoncer à la coquetterie ; il l’accuse de préférer à la société d’hommes intelligens celle de sots ou d’intrigans de basse qualité. Il lui affirme qu’elle est « une œuvre d’art manquée, » et imagine, à l’appui de cette assertion, une « allégorie » des plus singulières :


Une statue antique est achetée à un paysan par un juif néo-grec, qui, pour mieux la transporter, la brise en morceaux. Il se sert des parties les plus importantes pour y enfoncer ses clous, ou bien pour aiguiser son