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« de ne jamais écrire, ni contre feu Voltaire, ni contre les Diderot, les Dalembert et autres membres essentiaux de l’Académie française. » Mme Fréron octroya sur les bénéfices du journal une très petite rente à Stanislas, qui aurait connu la misère, s’il n’avait trouvé un protecteur dans le financier Bertin. Parasite et débauché, « il descend jusque dans la fange du ruisseau, » accompagnant partout l’homme dont il flatte les vices. En 1784, il est perdu de réputation. Il apprend alors, par sa sœur Thérèse, que l’Année littéraire est maintenant d’un bon revenu pour sa belle-mère, et décide Mme Fréron à signer un contrat plus avantageux pour lui. Il collabore même quelque peu au journal, y donne une critique du Mariage de Figaro, puis se met du parti des mécontens et tourne sa plume contre un régime dont il avait été le défenseur zélé.


II

Le 14 juillet 1789, il monte « l’un des premiers » à l’assaut de la Bastille avec Hérault de Séchelles, Desmoulins et Target, et y arbore le pavillon des gardes-françaises, aidé de son beau-frère, le marquis de La Poype. Bientôt, il se signale par sa violence déclamatoire, profère des injures contre la religion, les prêtres, la monarchie. Ses diatribes, où il citait Juvénal et Tacite, lui valurent une certaine popularité, et il fut délégué, par son district, à la Commune de Paris.

L’année 1789 donna naissance à une véritable éclosion de feuilles politiques : les Révolutions de France et de Brabant que dirigeait Desmoulins, l’Ami du peuple où Marat vomissait ses injures, les Actes des Apôtres où Rivarol, Peltier et Suleau raillaient les démagogues avec infiniment d’esprit, le Courrier de Provence dont Mirabeau était l’inspirateur. Fréron écrivait dans l’Ami des Citoyens, « feuille assez terne, » des articles relativement modérés qu’il ne signait pas au début. Sous la rubrique Mélanges, il critiquait les dépenses du gouvernement, les mandemens des évêques, mais il n’attaquait pas la famille royale et respectait le clergé. Son ambition ne pouvait se contenter de cet organe qui s’adressait surtout à une clientèle de province et ne donnait que de très faibles bénéfices. Le 23 mai 1790, après des vicissitudes diverses, il parvenait à faire distribuer le premier numéro de l’Orateur du peuple. Il voulait atteindre la renommée, comme Marat et Desmoulins dont on discutait les articles au Palais-Royal. L’ancien rédacteur de l’Année littéraire écrira désormais pour la rue, ne reculera devant aucune diffamation pour répandre son journal. Dès le premier