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numéro, il dénoncera Mirabeau, Bailly et La Fayette, la Cour, les ministres, l’Assemblée.

L’espace nous manque pour retracer les destinées de l’Orateur du peuple, ainsi que l’histoire de la collaboration de Fréron aux Révolutions de France et de Bradant. M. Arnaud nous dit que le publiciste ne manquait pas de talent et connaissait à fond son métier. Au jugement de M. Frédéric Masson, Fréron n’était qu’une doublure de Marat ; « mais il n’avait ni les délires de Marat, ni l’esprit de Camille[1]. »

Fréron et Desmoulins étaient unis par la plus vive amitié. Ils se voyaient au journal qu’ils rédigeaient en commun[2], se retrouvaient le soir au club des Cordeliers. Ils fréquentaient tous deux chez M. Duplessis, premier commis du contrôle des finances, qui avait deux filles fort agréables. Lucile Duplessis, l’aînée, était « une adorable petite blonde, tour à tour triste et gaie, romanesque et gamine, contente et dépitée. » Elle plut à Camille qui l’épousa le 29 décembre 1790. Le dimanche, Fréron et Camille oubliaient la lutte révolutionnaire, les séances orageuses des Cordeliers et de l’Assemblée, et se rendaient à Bourg-la-Reine, dans la propriété des Duplessis. Fréron devint vite amoureux de Lucile ; il regretta sans doute de ne pas l’avoir demandée en mariage, mais il vivait déjà avec une femme dont l’historien n’a pu retrouver le nom : peut-être était-ce la demoiselle Masson, actrice des Italiens ? Quoi qu’il en soit, Stanislas récitait à Lucile des vers de Pétrarque qui la faisaient tressaillir. Camille, qui n’était pas inquiet, laissait les deux amis s’éloigner et échanger de doux propos. Nous renvoyons le lecteur à ces pages délicates, ne doutant pas qu’il n’apprécie cette paisible idylle, à la veille de terribles tragédies.

Le ménage Desmoulins habitait la même maison que Fréron, 1, rue du Théâtre-Français, — aujourd’hui 28, rue de l’Odéon. M. Arnaud nous décrit un dîner qui eut lieu chez Desmoulins, le 9 août 1792. Fréron, Brune et Barbaroux y prirent part. Sous les fenêtres de Camille, on entendait résonner « les paroles lugubres » du Ça ira. Le lendemain devait éclater l’émeute préparée par les Cordeliers. L’inquiétude de Lucile était telle qu’elle demanda, après le départ de ses hôtes, à

  1. Napoléon et sa famille, t. I, p. 151, 1 vol. in-8 ; Ollendorff.
  2. Le journal fut élaboré, à partir du n° 73, dans la demeure de Desmoulins. « J’invite les souscripteurs, — lit-on dans ce numéro, — à ne plus renouveler au bureau, rue de Seine, 115, chez M. Caillot, mais chez moi, rue du Théâtre-Français, où je continuerai de cultiver une branche de commerce inconnue jusqu’à nos jours, une manufacture de révolutions. » Cf. Jules Claretie, Camille Desmoulins, p. 112, 1 vol. in-8 ; Plon.