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surlendemain, elle reprit l’entretien avec une nouvelle véhémence. Elle venait, lui dit-elle, de demander à son époux que le duc d’Aiguillon reçût défense d’aller à Reims et fut relégué dans ses terres ; Louis XVI, devant son insistance, y avait consenti. « M. de Maurepas[1]demandant alors quel tort nouveau pouvait avoir son neveu : « La mesure est comble, dit la Reine, il faut que le vase renverse. — Mais, madame, il me semble que, si le Roi doit faire du mal à quelqu’un, ce mal ne devrait point arriver par vous. — Vous pouvez avoir raison, monsieur, et je compte dorénavant n’en plus faire, mais je veux faire celui-là. — Puis-je, madame, dire que c’est la volonté de Votre Majesté, et non celle du Roi ? — J’y consens, reprit Marie-Antoinette, je prends tout sur moi. »

Louis XVI, questionné par Maurepas, confirma les dires de la Reine et déclara « ne vouloir s’en mêler, » laissant sa femme libre de régler à sa guise les conditions et détails de l’exil. « C’est elle qui l’exige, » dit-il pour conclure l’entretien. Sur quoi, troisième et dernière conférence entre Maurepas et Marie-Antoinette. Il proposa pour son neveu comme lieu de résidence le château de Veretz, situé à quelques lieues de Tours, à peu de distance de Chanteloup. Ainsi se serait accomplie la prédiction jadis faite par Choiseul, lorsque, en décembre 1770, la veille de sa disgrâce, il rencontra son ennemi d’Aiguillon dans l’antichambre de Louis XV : « Eh bien ! avait-il dit, vous me chassez donc ? J’espère qu’ils m’enverront à Chanteloup ; vous prendrez mes places ; quelque autre vous chassera ; ils vous enverront à Veretz ; nous n’aurons plus d’affaires politiques, nous voisinerons, et nous en dirons de bonnes[2]. » La tenace animosité de la Reine empêcha cette rencontre. Veretz était « trop près, » dit-elle. Elle exigea le château d’Aiguillon, en Guyenne, près d’Agen. « Enfin, madame, reprit Maurepas, que faut-il que j’écrive ? — Ce que vous voudrez, mais qu’il s’en aille ! » Il fut convenu que l’ordre serait signifié « sans lettre de cachet, par un discours verbal[3]. » La Reine crut avoir beaucoup fait en accordant cette concession : « Nous avons évité la forme d’exil, qui est barbare, quoique lui-même s’en soit servi, » écrivait-elle, quelques jours plus tard, à sa mère.

  1. Journal de l’abbé de Véri, passim.
  2. Chronique secrète de l’abbé Baudeau, passim.
  3. Lettre de Mme de Maurepas à la duchesse d’Aiguillon. — Archives du marquis de Chabrillan.