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il fut prescrit que les dames de la Cour n’auraient droit qu’à un seul carrosse pour leurs femmes de service. Cela fait, toutes les grosses dépenses furent maintenues sans changement ; méthode qui, au danger d’une prodigalité réelle, joignait l’inconvénient d’une parcimonie apparente, semant l’irritation et provoquant les gorges chaudes. On colporta dans tout Paris cette réponse ironique d’un prélat courtisan à une personne de qualité qui désirait faire, du même coup, ses Pâques avec son Jubilé : « Mon Dieu, madame, nous sommes en temps d’économie ; je crois bien qu’on peut faire aussi celle-là. »

L’autre point litigieux soumis par Turgot à Louis XVI avait trait au serment du Sacre. Le Roi, d’après la formule consacrée, y prenait l’engagement « d’exterminer de ses États tous les hérétiques condamnés nommément par l’Eglise. » Personne assurément, en cette fin du XVIIIe siècle, ne prenait au sérieux une promesse si barbare ; nul n’aurait supporté l’idée de la mettre à exécution, et moins que tout autre le prince qui, quelques mois plus tôt, écrivait à Miromesnil à propos d’une requête des religionnaires de Guyenne[1] : « Il se peut qu’il y ait des personnes d’un zèle mal entendu qui les tourmentent, et c’est ce que je n’approuve pas : mais il faut qu’ils se tiennent dans les bornes des permissions qu’on leur a données. » Puisqu’il était donc entendu que le Roi ne tiendrait point compte de l’engagement qu’il semblait prendre, puisqu’il s’agissait simplement d’une formalité vaine, n’était-il pas plus digne et plus loyal de rayer ces mots du programme ? C’est l’avis que Turgot soutint avec une conviction émue, d’abord de vive voix, au Conseil, puis en s’adressant à Louis XVI par une lettre confidentielle. Cette lettre est aujourd’hui perdue, mais, à défaut du texte, il est aisé d’en retrouver l’esprit dans le Mémoire au Roi sur la tolérance religieuse que le contrôleur général rédigea peu de jours après, pour fixer les droits du souverain et pour éclairer sa conscience. J’en citerai seulement quelques lignes, où se trouvent résumées, avec une sobre et concise éloquence, les idées de Turgot sur un si grave sujet : « Vous devez examiner, dit-il, si les engagemens contenus dans les formules du Sacre par rapport aux hérétiques sont justes en eux-mêmes ; et, s’ils sont injustes, c’est un devoir pour vous de ne pas les accomplir… La

  1. Lettre du 28 février 1775.