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plantant là tous les convives qu’elle avait elle-même invités. Enfin certaines personnes remarquèrent avec étonnement l’air de mauvaise humeur, l’affectation de négligence, avec lesquels le Comte d’Artois remplit, pendant le Sacre, les fonctions assignées par le cérémonial.

Ces légères dissonances ne troublèrent point le concert d’allégresse dont on perçoit l’écho dans le joli récit que Marie-Antoinette envoyait quelques jours plus tard à sa mère[1] : « Le Sacre a été parfait de toutes manières. Il paraît que tout le monde a été content du Roi ; il doit bien l’être de tous ses sujets… Les cérémonies de l’église étaient interrompues, au moment du couronnement, par les acclamations les plus touchantes. Je n’ai pu y tenir, mes larmes ont coulé malgré moi, et l’on m’en a su gré… C’est une chose étonnante, et bien heureuse en même temps, d’être si bien reçus deux mois après la révolte, et malgré la cherté du pain, qui malheureusement continue… Il est bien sûr, conclut la jeune princesse, qu’en voyant des gens qui, dans le malheur, nous traitent aussi bien, nous sommes encore plus obligés de travailler à leur bonheur. Le Roi m’a paru pénétré de cette vérité. Pour moi, je suis bien sûre que je n’oublierai de ma vie la journée du Sacre ! »


Nous prenons ici sur le vif la véritable Marie-Antoinette, quand elle est livrée à elle-même, sensible, impressionnable, capable d’élans généreux. Mais, dans cette âme mobile, tout n’est que revirement, contradictions, contrastes. Les larmes d’émotion dont elle vient de nous faire l’aveu ont à peine séché sur ses joues, que sans souci de l’intérêt ni du repos du Roi, elle se laisse entraîner par les gens de son entourage dans une fâcheuse intrigue contre le ministère. Cette fois encore, le meneur de l’affaire était le baron de Besenval, comme il n’a pas manqué de s’en vanter lui-même : « Je venais, écrit-il, de faire exiler M. d’Aiguillon… Je fis envisager à la Reine qu’il ne fallait regarder cet événement que comme un premier pas vers le crédit, que, pour le constater et le rendre invariable, il était nécessaire de faire des ministres sur lesquels elle pût compter. » Ce n’est pas forfanterie, et Mercy-Argenteau, en plusieurs passages de ses lettres, accuse formellement le baron d’avoir attaché le

  1. Lettre du 22 juin 1775. — Correspondance publiée par d’Arneth.