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du Roi. La chose pourtant ne se fit pas toute seule, et cette victoire eut d’autant plus d’éclat qu’elle fut plus difficilement arrachée.

Le ministre en fonctions, le duc de La Vrillière[1], titulaire de l’emploi de date immémoriale, s’y maintenait vaille que vaille, depuis le nouveau règne, par la protection de sa sœur, la comtesse de Maurepas, acharnée en toute circonstance à servir sa famille. Sa longue expérience de la Cour et du cérémonial avait également contribué à lui faire conserver sa place jusqu’à l’époque du Sacre, où l’on pensait qu’il rendrait des services. Mais il avait été convenu que ses attributions seraient restreintes, ou peu s’en faut, au « ministère des lettres de cachet, » dont il s’était fait sous Louis XV une sorte de spécialité. « Cela va d’autant mieux, aurait dit à mi-voix Louis XVI, que je compte bien n’en point donner. » Maurepas, à la veille du départ pour Reims, ayant interrogé le Roi sur les bruits qui couraient du remplacement de son beau-frère, avait reçu cette réponse inquiétante : « Ce ne sera que pour mon retour, et vous en serez instruit. » Le public attendait avec quelque impatience le renvoi de ce vieux et frivole courtisan, discrédité pour sa bassesse et sa médiocrité d’esprit, entièrement dominé par une ancienne maîtresse, la marquise de Langeac, femme avide, intrigante, qu’on accusait de trafiquer des honneurs et des places. Sa chute paraissait si certaine qu’avant de l’avoir mis en terre les partis en présence se disputaient son héritage. Turgot avait son candidat, qui n’était autre que Malesherbes ; la Reine avait le sien, qui était M. de Sartine, le ministre de la Marine, et elle le soutenait ardemment.

Cette attitude de Marie-Antoinette était le fruit d’une combinaison compliquée, germée dans le fertile cerveau du baron de Besenval. Sartine passant à la Maison du Roi, on pourrait mettre à la Marine le sieur d’Emery, créature du duc de Choiseul, homme de caractère souple et que l’on aurait dans la main. Sartine, secrètement pressenti, se prêtait à cet arrangement. L’accord ainsi conclu, Besenval se chargea d’échauffer Marie-Antoinette et de la pousser en avant. Il l’exhorta à mettre

  1. Louis Phélyppeaux, d’abord appelé comte de Saint-Florentin, avait pris par la suite le nom de duc de La Vrillière, ce qui lui valut cette cruelle épitaphe :
    Ci-gît un petit homme à l’air assez commun,
    Ayant porté trois noms, sans en laisser aucun.