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jadis Villemain, voyait des Jésuites partout. L’intrigant Blowitz, qui flattait cette manie, était un des familiers du cabinet de Hohenlohe. Il lui apportait à tout moment des nouvelles à sensation et des jugemens personnels sur les hommes politiques. Il accusait Gambetta de n’avoir d’affection pour personne et d’être immodérément fier, parce que celui-ci l’avait un jour traité de haut. Blowitz rendait d’ailleurs justice à son talent, à son éloquence, à son honnêteté. Dans les entretiens que l’ambassadeur eut par la suite avec Gambetta, on vint à parler des nouvelles lois françaises contre les Jésuites. Gambetta préconisait des mesures plus sévères encore, comme la fermeture des établissemens tenus par des congrégations non autorisées. « Je fis observer qu’on s’y prenait un peu tard après avoir toléré l’enseignement des Jésuites pendant trente années. Gambetta m’approuva. » La conversation étant tombée sur le mode électoral, Gambetta montra la nécessité de faire reparaître le scrutin de liste, « car le scrutin d’arrondissement produisait des Chambres d’une petite moyenne, dont les membres poursuivaient uniquement des intérêts locaux. Vouloir former avec cela un parti gouvernemental, c’était vouloir la quadrature du cercle… Gambetta déclarait que le scrutin de liste était nécessaire pour obtenir des élections modérées. D’ailleurs, il parlait en général dans un sens conservateur. Il citait comme exemple la circonscription de Belleville où l’on aurait élu un député rouge foncé si, lui, Gambetta, n’avait passé. »

La crainte de voir Gambetta pousser à la revanche par n’importe quels moyens tourmentait aussi bien l’ambassadeur que le chancelier. Etant allé voir l’Empereur en septembre 1879 à Berlin, il causait avec lui d’une alliance possible de l’Allemagne avec l’Autriche contre la Russie, alliance à laquelle Guillaume était opposé. L’Empereur croyait à une coalition projetée par Bismarck dans laquelle entrerait la France. « En ce qui concernait ce pays, disait Hohenlohe, Waddington était pour l’Angleterre contre la Russie. Mais dans trois mois Waddington pourrait être renversé. Il serait possible alors que les affaires tombassent aux mains des créatures de Gambetta. Celles-ci s’aboucheraient avec les révolutionnaires russes et allumeraient la guerre pour jeter toute l’Europe dans la révolution. Notre alliance avec l’Autriche rendait donc ce double service à la Russie : 1° de tenir la Révolution en échec ; 2° de fixer