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A la mort de Guillaume Ier, Hohenlohe était allé à Berlin pour assister aux obsèques impériales, puis il obtint une audience de Frédéric III, dont le règne devait être si rapidement abrégé par l’issue funeste de la maladie cancéreuse dont le prince souffrait depuis longtemps. C’était en mai 1888 : « Quand j’exprimai à l’Empereur, dit le statthalter, les vœux ardens que je formais pour sa santé, il me posa la main sur l’épaule et sourit si mélancoliquement que j’eus peine à refouler mes larmes. Il me faisait l’effet d’un martyr. En réalité, il n’y a pas au monde de martyre comparable à cette agonie. Tous ceux qui l’approchent sont pénétrés d’admiration devant cette courageuse et muette soumission à l’inévitable destin qu’il prévoit d’ailleurs clairement. » La question des passeports qui agitait l’Allemagne était pour Hohenlohe l’objet des plus grands soucis. Il s’en exprimait ainsi dans son Journal : « On dirait que Berlin exige toutes ces mesures vexatoires pour pousser les Alsaciens-Lorrains au désespoir et à la révolte, sauf à répondre ensuite que le régime civil ne vaut rien et que l’état de siège s’impose. Le pouvoir passerait alors au général commandant et le statthalter se retirerait ; après quoi, le général redeviendrait clément et l’on ferait des gorges chaudes sur le statthalter qui serait tombé dans le piège. »

Hohenlohe était décidé à repousser les prétentions de Bismarck et de son fils sur les passeports obligatoires, soumis à des exigences inouïes. Il s’opposait ouvertement à ces mesures le 10 mai 1888, objectant que les décrets existans rendaient déjà l’entrée des Français suffisamment difficile. Agir autrement, ce serait s’exposer à faire dire qu’on voulait la guerre dans le pays au lieu de la pacification. Il retourna voir l’Empereur, le 21 mai, et lui fit un exposé succinct de la question. Frédéric III l’écouta attentivement et lui témoigna par écrit et par signes toute sa sympathie. Au sortir de l’audience impériale, le statthalter vit le Kronprinz, qui chercha à lui démontrer la nécessité d’introduire les passeports, et de traiter les Français par la violence. A cet entretien en succéda un autre avec le chancelier. « Comme il s’agissait de l’état des esprits en Alsace et que je faisais observer à Bismarck que les Alsaciens commençaient à trouver qu’ils me payaient un peu trop cher pour le désagrément que je leur procurais, Bismarck se mit à dire que le duc d’Albe avait aussi tiré beaucoup d’argent des Pays-Bas. Quant aux passeports, ce n’était qu’un moyen de prouver aux Français que