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leurs cris ne nous effrayaient pas et que nous n’avions pas peur d’eux. »

Hohenlohe se résigna à cette politique déplorable en se disant qu’un autre statthalter appliquerait la mesure avec plus de sévérité que lui et que son départ ne serait que la cause de nouvelles vexations contre les Alsaciens-Lorrains. A l’avènement de Guillaume II, il demanda au nouvel empereur de lancer en Alsace-Lorraine une proclamation dans laquelle il promettrait une politique conciliante et douce. « Je pus observer que l’Empereur n’était pas fixé sur la question et craignait de s’écarter du chancelier. » Au sortir de cette audience, le statthalter vit l’Impératrice qui lui raconta que sa tante Amélie lui écrivait des lettres indignées à propos des passeports obligatoires. Elle lui disait entre autres choses : « Si vous ne voulez pas la guerre, à quoi bon ces sottises ? » Hohenlohe ajoute : « À ce moment, l’Impératrice comprit à qui elle parlait et rougit. Je la mis à l’aise en disant que je me rangeais pleinement à l’avis de sa tante. » Mais que faire devant une volonté aussi tenace que celle du chancelier, appuyée par l’Empereur, auquel Bismarck faisait croire que cette mesure était le seul moyen capable de couper les liens qui rattachaient l’Alsace-Lorraine à la France ? La situation ne pourrait se détendre que le jour où le chancelier de fer verrait s’affaiblir ou tomber sa puissance. Deux ans à peine, et on allait voir ce que personne n’avait osé prédire : la chute du prince de Bismarck.

Du Journal et de la correspondance de Hohenlohe il résulte que le statthalter répugnait aux mesures violentes contre le pays qu’il gouvernait, mais qu’il se résigna à les appliquer, dès qu’il eut reconnu l’impossibilité de s’y opposer autrement que par sa démission. Sa politique hésitante et faible est caractérisée ainsi par lui-même : « La situation me déplaît souverainement. Quel dommage que je ne puisse me retirer pour combattre leurs menées ! » Il attribuait les mesures excessives qu’on lui demandait à une perfidie personnelle du chancelier et de ses propres ennemis qui lui en voulaient de chercher à administrer l’Alsace-Lorraine avec modération. Il croyait que les efforts tentés pour lui faire du tort à Strasbourg devaient être mis sur le compte de la jalousie que la famille de Bismarck aurait ressentie en le voyant déjà gouverneur héréditaire, tandis que le chancelier n’était pas duc héréditaire de Lauenbourg ; mais comment lutter